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L’histoire du hockey canadien racontée autrement

Recueillir les témoignages de personnes qui ont pratiqué, bâti et soutenu le hockey au sein de la Première Nation de Lac Seul afin de jeter un nouvel éclairage sur le hockey autochtone.
Par
Patty Krawec*
Établissement(s)
Université McGill
Province(s)
Québec
Sujet(s)
Sciences sociales
Une équipe de hockey en maillots orange pose sur la glace de l'aréna.

Cet article est rédigé à la première personne par Patty Krawec, une écrivaine anichinabée et ukrainienne membre de la Première Nation de Lac Seul. Pour en savoir plus sur elle, visitez https://daanis.ca/ (en anglais seulement).

Il y a plus de dix ans, mon père m’a envoyé une photo de l’équipe de hockey des Black Hawks du pensionnat de Pelican Lake. Après avoir attiré mon attention sur son jeune frère, Angus, qui figurait sur la photo aux côtés de ses frères et cousins, il m’a demandé : « Tu ne trouves pas qu’il ressemble à Sam? » En effet. Quand je place cette photo à côté de celle de mon fils cadet, la ressemblance est stupéfiante.

C’est en 1948 que l’équipe de hockey du pensionnat autochtone de Pelican Lake, les Black Hawks, a disputé sa première partie. Celle-ci réunissait des garçons visés par les traités numéro 3 et 9, dont plusieurs étaient issus de la Première Nation de Lac Seul située dans le nord-ouest de l’Ontario.

Mike Auksi a également des liens avec la Première Nation de Lac Seul et cette équipe de hockey du pensionnat de Pelican Lake. Anichinabé et Estonien, il est en cinquième année de doctorat au département de kinésiologie et d’éducation physique de l’Université McGill. Originaire de Toronto, il a fait en 2002 un voyage de 24 heures en train de la métropole à Sioux Lookout, district à la frontière du Manitoba, dans le nord-ouest de l’Ontario. Objectif : assister au tournoi de hockey des bandes du Nord, dans lequel il a joué enfant pour les équipes des Eagles du lac Seul et des Stars. Il s’agissait pour lui d’un véritable retour aux sources. Et ses recherches sur le hockey y participent également en quelque sorte.

Dans sa thèse de doctorat, une étude autoethnographique de l’histoire orale, Mike Auksi se penche sur le rôle que joue le hockey chez les Anichinabés de la Première Nation de Lac Seul. En recueillant les témoignages de personnes qui ont joué et jouent encore au hockey dans le Nord de l’Ontario, il a distingué trois époques, ou « périodes », correspondant à des thèmes précis.

Les trois « périodes » du hockey autochtone

Comme c’est toujours le cas, ces époques se chevauchent et n’ont pas de limites clairement définies. Néanmoins, il peut être utile de considérer ces trois périodes comme des cadres de référence afin de réfléchir à l’histoire et à l’évolution des joueurs autochtones qui ont fait leurs premières armes dans les pensionnats, ont ensuite représenté leur communauté des Premières Nations et, enfin, ont joué dans des ligues à l’échelle nationale et internationale.

L’époque des pensionnats, qui constitue la première de ces trois périodes, est à l’origine du hockey canadien pratiqué par les autochtones. La liberté du jeu y est restreinte par son cadre assimilationniste, soit celui des pensionnats où des garçons comme le père de Mike Auksi et mes oncles jouaient pour des équipes telles que Cecilia Jeffrey (à Kenora, en Ontario), Birtle (à Birtle, au Manitoba) et Pelican Lake (à Sioux Lookout, en Ontario).

Au fur et à mesure que les pensionnats laissent place au modèle des externats, les joueurs font leur entrée dans des systèmes de hockey moins isolés, ce qui culmine avec l’émergence des tournois de hockey communautaires des Premières Nations au début des années 1970, et ce, même si le dernier pensionnat du Canada ne fermera ses portes qu’en 1996. Il s’agit de la deuxième période, celle où mon père a joué au hockey.

L’ère moderne, qui constitue la troisième période, a commencé au début du millénaire actuel, à une époque où des athlètes comme Mike Auksi évoluaient sur deux circuits : le hockey communautaire et le hockey amateur (à titre de joueur de hockey amateur de haut niveau). La carrière de Mike Auksi l’a mené en Europe où il a joué sur la scène semi-professionnelle et internationale pour l’équipe d’Estonie.

Pour Mike Auksi, le fait qu’il n’existe qu’une seule histoire du hockey canadien gomme les particularités du hockey des Premières Nations et ne tient pas compte des divers croisements linguistiques, culturels et ethniques inhérents à ce sport. Il fait référence au livre intitulé Hegemony Contests : Challenging the Notion of a Singular Canadian Hockey Nationalism, dans lequel l’auteur, Kristi A. Allain, insiste sur l’importance de raconter l’expérience des joueurs de hockey des Premières Nations, leur style de jeu distinct et les divers sens que les joueurs des Premières Nations ont donnés à ce jeu. Raconter une seule histoire du hockey canadien ne nous empêche pas d’y inclure des récits de joueurs des Premières Nations, mais celle-ci relègue à un rôle secondaire tous les autres pans de l’histoire du hockey, alors que le « sens du jeu » appuie l’histoire nationale plutôt que la collectivité autochtone où le hockey a émergé.

Certes, il existe des anecdotes à propos de joueurs qui n’étaient ni blancs ni francophones dans la tradition populaire du hockey, mais la coupe Stanley demeure l’élément central de l’histoire de ce sport, occultant les individus et leur collectivité. À titre d’exemple, citons les Micmacs, un peuple reconnu pour ses talents en sculpture, dont les bâtons (ou crosses) créés par ses légendaires fabricants micmacs étaient, au début du XXe siècle, utilisés et appréciés par de nombreuses personnes, y compris les fils de Lord Preston of Stanley (donateur de la récompense éponyme, soit la coupe Stanley de la Ligue nationale de hockey), bien avant que le hockey ne devienne un élément central de l’expression du nationalisme canadien.

Réécrire l’histoire du hockey au Canada

Ainsi, la question soulevée par Mike Auksi dans son étude est importante : quels pans de l’histoire émergeront si l’élément central de l’histoire du hockey canadien est déplacé, non pas en vue de créer une autre version globale de cette histoire, mais plutôt une constellation d’éléments centraux qui s’unissent pour raconter autrement l’histoire du hockey au Canada?

Selon le doctorant, le cœur de sa recherche se trouve à Lac Seul, une réserve située en périphérie de Sioux Lookout, en Ontario, à environ 400 kilomètres au nord-ouest de Thunder Bay. Comme c’est le cas de nombreuses collectivités autochtones au Canada, l’histoire du hockey y a pris naissance dans les pensionnats, là où les enfants jouaient dans des équipes comme les Black Hawks de Pelican Lake.

Les pensionnats sont des établissements où des enfants autochtones retirés de leur communauté étaient logés et éduqués collectivement afin d’en faire de véritables Canadiens et Canadiennes. Les frères et sœurs étaient souvent séparés, et les enfants d’une même collectivité, envoyés dans des écoles différentes, et ce, dans le but de briser les liens qui les unissaient à leur famille ou à leur communauté. Les garçons étaient encouragés à jouer par des directeurs d’école arbitraires, et ils trouvaient dans le hockey un moyen de se distraire, de s’amuser et de voyager. Plus tard, le hockey communautaire et le hockey professionnel leur offriront également des occasions de voir le monde et d’acquérir des compétences relationnelles qu’ils mettront à profit dans d’autres sphères de leur vie.

Or, la route menant au hockey est semée d’embûches. Sylvia Davis, membre de la collectivité du Lac Seul et directrice des services pédagogiques, note, en réfléchissant à l’expérience de ses élèves, qu’en plus du coût de l’équipement, le simple fait d’amener leur enfant aux entraînements peut représenter un défi pour les familles monoparentales qui doivent concilier cet horaire avec leur vie professionnelle. Par ailleurs, pour une partie de la collectivité vivant en région éloignée, il peut être difficile de se rendre régulièrement à l’aréna.

Le projet de Mike Auksi s’inscrit dans une vision plus collective de l’histoire du hockey; une vision ancrée dans la conception du monde et les valeurs chères aux Premières Nations et qui s’appuie notamment sur des collectivités comme celle du Lac Seul pour surmonter certains de ces défis. Le laboratoire émergent nommé Onkwanaktí:io, un mot mohawk signifiant « notre bel espace inclusif », où le doctorant travaille au quotidien, à Montréal, a bénéficié du financement de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI). Situé au sein du département de kinésiologie et d’éducation physique de l’Université McGill, le laboratoire, dirigé par Jordan Koch, directeur de thèse de Mike Auksi, se consacre à la recherche socialement responsable et s’inspire souvent des études autochtones ainsi que de l’histoire et de la sociologie du sport. Diverses autres disciplines au sein du département offrent également un espace propice à la production de connaissances fondées sur des relations multidimensionnelles, une constellation de nombreux éléments centraux se substituant à une seule et unique histoire.

Parmi les autres travaux de recherche menés au laboratoire en collaboration, citons l’élaboration de méthodes de collecte de données biométriques portant sur l’entraînement des athlètes autochtones en région éloignée. Ces données pourront ensuite être utilisées pour surmonter certains des défis liés à l’entraînement hors des grands centres urbains découlant de l’isolement géographique.

Documenter les diverses histoires du hockey du Lac Seul

C’est en développant eux-mêmes leurs savoirs que les peuples autochtones peuvent les aborder à leur manière. En effet, en nous concentrant sur la création de nos propres connaissances, nous nous interrogeons sur les relations que nous entretenons avec notre communauté, mais aussi avec les terres et les eaux qui nous entourent. Cette démarche se fonde sur l’écoute des récits propres à chaque collectivité et, pour Mike Auksi, cela suppose de séjourner sur les terres et les glaces du nord-ouest de l’Ontario. Ses recherches l’ont ainsi mené à Lac Seul où il recueille les témoignages de joueurs de hockey à travers les trois époques qu’il a définies, et ce, dans le but de raconter une histoire du hockey anichinabé.

Selon Sylvia Davis, chaque fois que nous, en tant qu’autochtones, découvrons des choses ou lisons à notre sujet, que nous nous voyons rattacher à l’ensemble de la société, nous nous sentons valorisés. Elle ajoute que l’objectif n’est pas de pousser les jeunes à quitter la communauté; au contraire, il s’agit de leur permettre de prendre conscience de leur place dans le monde au sens large, puis de transmettre ce savoir à leur collectivité de sorte que celle-ci en tire profit. La documentation et la mise en commun des divers récits qui forment l’histoire du hockey de Lac Seul présentent un réel intérêt. C’est une façon de recadrer l’histoire au cœur de la Première Nation Nishnawbe Aski et de l’y fixer : c’est l’un des nombreux éléments centraux autour desquels l’histoire du hockey peut graviter, se déployer en relations multidimensionnelles avec d’autres histoires du hockey et, ainsi, façonner une histoire plus complexe et plus diversifiée.

Roy Carpenter, membre de la collectivité du Lac Seul qui a également joué pour les Black Hawks de Pelican Lake au milieu des années 1950, m’a raconté que les garçons qui jouaient au hockey devaient apprendre à collaborer. Les enfants de différentes réserves, parfois de nations diverses, devaient mettre de côté leurs différences et jouer en équipe. Il a ajouté que, partout au Canada, les peuples autochtones devraient faire de même, c’est-à-dire faire fi de leurs différences et unir leurs efforts. Alors, ils formeraient une équipe imparable, à l’image de la légendaire équipe de hockey du Lac Seul.