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Reprendre goût aux voyages

Le secteur touristique du Canada, qui injecte plusieurs milliards de dollars à l’économie du pays, est durement touché par la pandémie de COVID 19. Les études sur le comportement des touristes pourraient toutefois aider les restaurants, les hôtels et les compagnies aériennes à reconquérir leurs clientèles en trouvant des moyens de les rassurer.
Par
Jacob Berkowitz
Établissement(s)
University of Guelph
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Sciences économiques
Illustration d’une file de personnes portant des masques et tirant des valises à roulettes.

Lorsque Hwan-Suk Choi s’est envolé du Texas vers Toronto au printemps 2003 pour une entrevue d’embauche à l’Université de Guelph, dans le Sud-Ouest ontarien, il l’a fait malgré les conseils de ses amis et de sa famille. La ville avoisine Toronto et la région connaissait une éclosion du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

« CNN a donné l’impression que les Canadiens mouraient dans la rue. Mais lorsque j’ai atterri à l’aéroport Pearson pour mon entrevue à l’université, j’ai été surpris de voir que personne ne portait de masque », explique le professeur Choi, maintenant directeur par intérim de l’École de gestion hôtelière, alimentaire et touristique de l’Université de Guelph.

Ce fut une révélation cruciale pour M. Choi, le chercheur en tourisme : quelle que soit la situation sur le terrain (telle que le fait que Toronto était somme toute, une destination peu risquée), les touristes potentiels ont réagi aux images télévisées dramatiques. Le tourisme international au Canada a chuté d’environ 25 pour cent et n’est revenu au niveau de 2002 qu’en 2018.

Son expérience unique en recherche sur le tourisme jette les bases pour répondre aux questions urgentes du secteur touristique pendant la pandémie

Grâce à ses dernières recherches, il peut apporter des preuves pouvant aider le secteur du tourisme du Canada à remonter la pente après les effets dévastateurs de la pandémie de COVID-19.

« Comme c’est la première fois que nous vivons une pandémie mondiale, nous devons établir le degré de risque que ressentent les gens lorsqu’ils se rendent à l’hôtel ou au restaurant ou qu’ils prennent l’avion, précise M. Choi. Rebâtir la confiance est crucial pour ramener les touristes. »

Tenir compte de ce que les touristes pensent et ressentent est essentiel pour l’économie canadienne. Selon l’Association de l’industrie touristique du Canada, le tourisme a contribué à l’économie canadienne à hauteur de 102 milliards de dollars en 2018, soit 2 pour cent du PIB du Canada, et employait environ 1,8 million de Canadiennes et de Canadiens, ce qui correspond à un emploi sur onze.

Améliorer le tourisme canadien en exploitant les données sur les voyages

Les études actuelles de M. Choi sur la pandémie reposent sur près de 20 ans de recherche axée sur les données, visant à mieux comprendre le mélange complexe de facteurs qui façonnent les comportements des touristes.

En arrivant à Guelph, M. Choi s’intéressait aux données de l’Enquête sur les activités et les préférences en matière de voyages (EAPV) de Statistique Canada. Unique en son genre, cette enquête de 32 pages, menée auprès de 30 000 personnes vivant au Canada et 30 000 vivant aux États-Unis, comportait des questions sur les endroits où les gens voyagent au Canada et les raisons pour lesquelles certaines personnes ne voyagent pas.

 « Même s’il s’agissait d’un ensemble de données de bonne qualité, le personnel universitaire l’utilisait à peine », explique-t-il, en soulignant qu’une partie du problème tenait au fait que les données n’étaient pas normalisées.

Avec l’aide de la FCI, M. Choi a fondé le Centre de données sur le tourisme de l’Université de Guelph, une salle équipée d’ordinateurs et de matériel connexe où lui et des étudiants diplômés ont été les premiers à analyser le comportement des touristes à partir de données. Grâce à cette infrastructure, le chercheur a pu normaliser les ensembles de données de l’EAPV de 1999 et 2006 et les mettre à la disposition d’autres chercheurs en tourisme et en hôtellerie.

« Ce projet m’a aidé à bâtir un solide réseau de recherche au Canada et à l’étranger puisque les chercheurs venaient me voir pour accéder aux données de l’EAPV », explique M. Choi. Ces données lui ont permis de mener des études de segmentation du marché, notamment pour déterminer les raisons pour lesquelles les touristes canadiens et américains ont choisi de visiter soit les côtes est, soit ouest du pays.

Des recherches antérieures sur les voyages et le tourisme ont démontré la valeur de la protection de l’environnement pour attirer la clientèle

Dans la même foulée, le chercheur a également amorcé en 2013 un projet de recherche collaborative avec une équipe dont faisait partie Tony Pollard, alors président de l’Association des hôtels du Canada. Ce projet a démontré la valeur de critères de protection de l’environnement pour attirer les touristes. M. Pollard avait créé le Programme de Clé verte, premier programme du genre en importance au monde, maintenant implanté dans 45 pays, qui permet de faire des estimations écologiques.

« [Les recherches de M. Choi] ont concrètement démontré que les hôtels du secteur privé avaient pleinement adhéré au programme », explique M. Pollard, maintenant consultant en tourisme installé à Ottawa.

Le programme de recherche rigoureux que M. Choi a contribué à mettre sur pied, a permis à l’Université de Guelph d’offrir le seul programme d’études supérieures en science du tourisme proposé au Canada.

Pour rebâtir les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie après la pandémie, il faudra nécessairement rassurer la clientèle

Depuis l’été dernier, M Choi et ses étudiants diplômés s’intéressent aux façons dont d’une part, les entreprises de services touristiques appliquent les mesures d’hygiène liées à la COVID-19 et d’autre part, elles informent leurs clientèles actuelles et potentielles des mesures qu’elles prennent.

« J’essaie de comprendre quels protocoles en particulier peuvent réduire le risque perçu et accroître le sentiment que tel établissement est un bon endroit où aller manger ou dormir », dit-il. Il donne l’exemple de nombreux grands hôtels canadiens qui collent maintenant des autocollants sur les portes pour indiquer que les chambres sont entièrement désinfectées.

Comprendre pourquoi les gens qui ont continué à voyager et à manger au restaurant étaient prêts à le faire

Financée par l’Université de Guelph, la première étape du projet de recherche de M. Choi consiste à sonder plusieurs dizaines de Canadiennes et de Canadiens qui se sont adaptés rapidement et ont continué à voyager ou à manger au restaurant pendant la pandémie. Son objectif : comprendre comment ils perçoivent les moyens que prend le secteur des services pour communiquer ses mesures de protection et comment, en retour, celles-ci influencent le comportement des consommateurs.

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« Nous voulons savoir quels sont les principaux critères sur lesquels se basent ces personnes » pour décider de ce qui est sécuritaire, explique le chercheur. Il est particulièrement important de comprendre le comportement des consommateurs plus âgés, qui sont sans doute plus préoccupés par leur santé et qui constituent une large part du marché des touristes américains au Canada.

Ce travail, qui devrait commencer en décembre, sera suivi d’une étude sur une cohorte plus large visant à déterminer comment les critères cernés à la première étape, pourraient influencer le comportement des touristes potentiels à l’avenir. Les résultats de l’étude seront transmis aux entreprises des secteurs de l’hôtellerie, du transport aérien et de la restauration. Ils constitueront d’importants éléments de preuve qui les aideront à se remettre de la pandémie.