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L’art de la technologie persuasive

Rita Orji, informaticienne à l’Université Dalhousie, développe des technologies persuasives adaptées à la culture pour favoriser les comportements positifs. Leur utilité s’étend de la santé sexuelle des jeunes en Afrique au bien-être mental en temps de pandémie.
Par
Roberta Staley
Établissement(s)
Dalhousie University
Province(s)
Nouvelle-Écosse
Sujet(s)
Informatique
Brouillée à l’arrière-plan, une femme tient un téléphone cellulaire à l’avant-plan

Rita Orji a grandi dans un village isolé de l’État d’Enugu au sud-est du Nigéria, sans électricité ni eau courante. Sa curiosité et ses compétences techniques se manifestent dès son jeune âge. Elle s’amuse à démonter des objets comme des vélos ou des radios, puis à les rassembler. Championne en mathématiques à l’école primaire, elle est admise plus tard en sciences informatiques à l’Université Nnamdi Azikiwe sans jamais avoir utilisé un ordinateur. La jeune femme se hisse au premier rang de sa classe et le conserve jusqu’à la fin de ses études, tout en s’investissant dans la politique étudiante et dans d’autres activités parascolaires. Et son parcours d’excellence ne s’arrête pas là. Elle obtient un doctorat de l’Université de la Saskatchewan en tant que boursière Vanier avant de recevoir des bourses postdoctorales des universités McGill, Waterloo (où elle décroche également une bourse postdoctorale Banting) et Yale.

Rita Orji est aujourd’hui professeure associée à la Faculté de sciences informatiques de l’Université Dalhousie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en technologie persuasive. Elle est aussi chercheuse au sein d’un groupe qui étudie l’interaction humain-ordinateur, la visualisation et le graphisme, et directrice du laboratoire d’informatique persuasive.

Grâce au matériel financé par la FCI, elle s’intéresse à la conception de technologies persuasives comme des applications et des jeux personnalisés pour appareils mobiles qui incitent les utilisateurs à adopter des comportements positifs pour favoriser la santé et le bien-être. L’informaticienne nous a parlé des sources de motivation de ses recherches à la frontière entre l’humain et la machine.

 

Rita Orij pose pour la photo.

Rita Orji étudie le domaine dynamique de la technologie persuasive en développant des systèmes numériques interactifs qui incitent à adopter des comportements sains.

FCI : Qu’est-ce qui vous a intéressée à mener des recherches sur les technologies persuasives?

Rita Orji : Ce qui me passionne tout naturellement, c’est de trouver des solutions aux problèmes dans mon milieu et d’aider les gens. Et mes recherches sur les technologies persuasives me donnent l’occasion de le faire. Je conçois des technologies qui permettent aux gens de s’émanciper et contribuent à résoudre une myriade de problèmes dans la société.

FCI : Créez-vous des applications ou des jeux pour aider les gens à faire face à la pandémie de COVID-19?

R.O. : Avec Sandra Meier, ma collaboratrice en psychiatrie à l’Université Dalhousie, j’observe les effets de l’isolement et du confinement sur la santé mentale en temps de pandémie à l’aide d’une application mobile que nous avons conçue.

Nous posons des questions comme par exemple : comment le confinement et l’isolement social touchent-ils la santé mentale? Vous ne pouvez pas voir vos amis, mais êtes-vous en mesure de faire d’autres activités? Avec le téléphone cellulaire, l’application détecte les activités de chacun et leurs façons d’affronter la crise sanitaire, y compris l’activité physique et les interactions sociales.

Ces données pourront servir plus tard à prédire l’état mental des gens et les conséquences sur leur santé psychologique. Nous pourrons alors recommander des mesures de compensation.

Nous avons également conçu des jeux qui simulent la propagation de la COVID-19 et qui informent les gens sur les mesures de précaution à adopter pendant la pandémie, comme le lavage des mains, la distanciation physique et le port du masque. Ainsi, ils comprennent mieux le danger d’enfreindre l’une de ces mesures.

FCI : Nous sommes maintenant nombreux à bien connaître les applications de développement personnel qui nous rappellent de respirer ou de bouger. Comment votre travail en informatique persuasive se distingue-t-il?

R.O. : Nous utilisons l’approche de conception centrée sur l’humain pour personnaliser ces technologies. Par exemple, nous pouvons programmer une application pour comprendre ce qui déclenche votre anxiété. L’appel d’un ami en particulier? Un sujet d’actualité? L’anxiété sociale? L’application sait que si le rythme cardiaque accélère, que la pression sanguine est élevée ou que la température du corps augmente, quelque chose ne va pas. Grâce à la puissance de l’intelligence artificielle, elle apprend à connaître chaque personne et crée un profil qui comprend les solutions susceptibles de fonctionner pour chacune. Écouter de la musique, s’entraîner, méditer ou danser peut être bénéfique pour certains, alors que pour d’autres, ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de solution unique qui fonctionne pour tout le monde. L’application peut suggérer une activité aussi simple que d’aller marcher, de prendre une grande respiration ou d’appeler un ami. Mais ce n’est pas proposé au hasard. Les suggestions sont fondées sur les données enregistrées par l’application au fil du temps sur ce qui fonctionne pour cette personne. L’appli tient également compte de caractéristiques uniques comme le type de personnalité, la culture et l’âge.

FCI : Parlez-nous de la technologie persuasive que vous avez développée pour promouvoir la santé sexuelle en Afrique. 

R.O. : Là-bas, la sexualité demeure un sujet tabou. L’éducation sexuelle ne fait partie des programmes scolaires, donc les jeunes n’acquièrent pas les connaissances adéquates sur la façon de se protéger ou d’éviter les comportements sexuels à risque. Nous avons conçu une application en ligne gratuite pour les dissuader d’adopter de tels comportements. Beaucoup d’Africains possèdent des téléphones cellulaires et les jeunes, qui sont ceux que nous ciblons, jouent à des jeux en ligne. Le jeu que nous avons conçu comporte différents niveaux qui leur expliquent les différentes maladies transmissibles sexuellement. Par exemple, il traite du VIH et de la façon dont il se transmet, des moyens de se protéger, des symptômes et du dépistage. Les jeunes s’amusent tout en apprenant. C’est aussi un jeu privé, une caractéristique très importante pour éviter la stigmatisation.>

FCI : Dans votre pays d’origine, vous avez créé un projet pour encourager l’éducation des femmes et des moins privilégiés (Education for Women and the Less Privileged) afin d’inciter les jeunes à poursuivre des études supérieures. Qu’est-ce qui vous a menée à entreprendre ce genre de projet?

Dessin en mode vectoriel d'un ordinateur portable surmonté d'un avion en papier sur fond bleu sarcelle avec un texte qui encourage à t'abonner à nos publications

R.O. : L’éducation est un égalisateur. En tant que première femme à avoir obtenu un doctorat dans ma ville natale de plus de 50 000 habitants, je veux éliminer les obstacles à l’éducation des femmes et leur donner les moyens de poursuivre des études supérieures plutôt que de réduire leur vie à un emploi peu valorisant et à un mariage. Je me sers de moi comme exemple. Je veux m’engager dans ma collectivité pour aider les gens et améliorer la société. Mon histoire a changé les discours négatifs au sujet de l’éducation des femmes dans ma ville natale. Les femmes instruites sont maintenant célébrées, et tous les parents racontent mon histoire pour motiver leurs enfants.

FCI : Outre le développement de nouvelles technologies, quels sont vos autres objectifs?

R.O. : Je veux encadrer plus de jeunes pour changer les choses dans le monde. Je suis une fervente formatrice de la diversité en STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). Je veux voir des femmes sous-représentées, des Autochtones et des personnes de couleur participer à l’essor de la société par l’entremise de l’informatique et d’autres carrières en STIM. Je veux leur montrer qu’ils peuvent gravir les échelons, s’épanouir et faire une contribution significative.