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Pourquoi (et comment) l’oiseau chanteur chante-t-il?

Écouter le chant du pinson pourrait nous permettre d’en savoir plus sur la neurobiologie humaine et l’acquisition du langage
Établissement(s)
Université McGill
Province(s)
Québec
Sujet(s)
Sciences de la santé
Neurosciences
Rangée de diamants mandarins au bec orange vif serrés le long d'une branche.

Pour bon nombre de personnes, le gazouillis des oiseaux chanteurs annonce l’arrivée tant espérée du printemps. Or, pour Jon Sakata, neurobiologiste à l’Université McGill, la mélodie de leurs appels et de leurs réponses qui émanent des branches d’arbres en cette saison, révèle un phénomène encore plus séduisant. Elle fournit des indices sur la manière dont l’être humain apprend à parler et acquiert une langue.

« Les oiseaux chanteurs se distinguent en ce sens que, comme les humains, ils doivent apprendre les vocalisations au cours de leur développement », explique le chercheur. Étant donné que la plupart des animaux, et même la majorité des oiseaux, communiquent au moyen de vocalisations innées (c’est-à-dire sans avoir à les apprendre), le processus d’apprentissage par lequel doivent passer les oiseaux chanteurs fait de cet animal un modèle exceptionnel pour comprendre ce qui se produit dans le cerveau humain pendant l’acquisition de la parole ou d’une nouvelle langue. Ces connaissances pourraient avoir d’importantes répercussions sur les traitements de divers troubles tels que l’autisme et le syndrome de Gilles de la Tourette.

Humains et pinsons unissent leur voix

Dans le cadre de ses travaux de recherche, Jon Sakata se penche sur les différences entre un oisillon qui apprend à chanter au contact d’un tuteur adulte, et un autre qui apprend de manière passive : à l’aide d’enregistrements. Pour ce faire, son équipe utilise des cabines d’insonorisation et des microphones financés par la FCI afin de créer des enregistrements haute-fidélité reproduisant le chant des oiseaux.

Les résultats de cette étude pourraient rendre service à toute personne qui souhaite apprendre une langue : premièrement, les jeunes oiseaux sont plus attentifs en présence d’un tuteur ; et deuxièmement, plus leur concentration est grande, plus les progrès sont importants.

« Les oiseaux peuvent apprendre à chanter en écoutant des sons émis par un haut-parleur, mais ils ne les assimilent pas aussi bien ni aussi vite », explique le chercheur. Or, en présence d’un oiseau adulte, l’oisillon cesse toute activité pour l’observer attentivement. « Il apprend ce chant bien plus rapidement et bien mieux. Cette méthode constitue simplement un paradigme plus efficace pour l’apprentissage vocal. »

Jon Sakata suppose qu’il y a d’autres facteurs que le simple fait de focaliser son attention, au fait que les interactions sociales favorisent l’apprentissage des oisillons. En effet, il y aurait également des indices visuels tels que les mouvements subtils du bec et du corps, ainsi que le mode de respiration du tuteur pendant qu’il exécute son chant.

Il en va de même pour les nourrissons. « Lorsqu’un bébé regarde ses parents et échange avec eux, il se produit de nombreuses interactions sociales, précise le chercheur. Les bébés portent une grande attention à la bouche et aux yeux des personnes qui leur donnent des soins. Et en observant la bouche, ils comprennent mieux comment produire les sons qu’ils entendent. »

 

Dans les quatre premiers clips de cet enregistrement, écoutez un jeune diamant mandarin qui apprend à maîtriser son chant, d’abord un tintamarre bruyant, alors que l’oisillon n’a que 35 jours, puis se perfectionnant à 50, à 70 et enfin à 90 jours, soit lorsqu’il atteint l’âge adulte. Comparez son chant à 90 jours à celui de son tuteur, enregistré dans le cinquième clip, et constatez la véracité du dicton « c’est en forgeant qu’on devient forgeron. »

Le cerveau des oiseaux : une fenêtre ouverte sur la neurobiologie humaine

En plus d’établir la corrélation entre l’attention, l’interaction sociale et l’apprentissage, l’équipe de recherche dirigée par Jon Sakata étudie également les processus neurobiologiques qui sous-tendent ces relations. Elle a ainsi pu cibler les zones du cerveau des oiseaux sollicitées lors de l’apprentissage du chant, notamment celles chargées de libérer des neurotransmetteurs associés à la récompense et à la motivation, telle la dopamine, ainsi que celles qui libèrent des neurotransmetteurs associés à l’attention et à l’éveil, telle la norépinéphrine. Les deux zones sont plus actives, et les concentrations des principales substances chimiques cérébrales sont plus élevées lorsque les oiseaux apprennent « en présentiel » plutôt que par les enregistrements.

En approfondissant ses travaux, l’équipe de recherche a découvert qu’en trompant le cerveau de l’oiseau pour lui faire croire qu’il interagissait avec un tuteur réel, et ce, en augmentant artificiellement le taux de norépinéphrine cérébral dans des zones clés de son cerveau, il était possible d’améliorer le processus d’apprentissage de l’oiseau et de l’amener à imiter plus fidèlement le chant de son tuteur.

Jon Sakata reconnaît qu’il faudra du temps pour que ces résultats permettent d’améliorer la manière dont l’humain acquiert la parole ou une nouvelle langue, mais que le jeu en vaut probablement la chandelle.

D’abord, ces travaux pourraient nous éclairer sur l’étiologie de troubles du développement tels que l’autisme. En effet, des études suggèrent que des dysfonctionnements neurochimiques seraient à l’origine de perturbations du comportement social et de l’apprentissage vocal chez les personnes atteintes d’autisme. « Si nous pouvions réduire l’écart neurochimique existant entre les personnes atteintes d’autisme et les autres, nous pourrions aider les premières à améliorer leurs aptitudes à la communication », propose le chercheur.

L’équipe de recherche se penche également sur d’autres aspects du chant des oiseaux, comme la manière dont un mâle modifie la qualité de son chant lorsqu’il enseigne à un oisillon ou qu’il cherche à séduire une femelle, par opposition au chant qu’il émet lorsqu’il est seul. Comprendre quels sont les processus neuronaux qui déterminent la modification des vocalisations chez les oiseaux en fonction de divers contextes sociaux, pourrait nous éclairer sur des troubles humains tels que le syndrome de Gilles de la Tourette, qui se caractérise, entre autres, par des tics vocaux inappropriés dans certaines situations sociales.

Jon Sakata souhaite que ses travaux sur les oiseaux chanteurs permettent d’acquérir les connaissances fondamentales nécessaires à une étude plus approfondie de ces phénomènes.

Dans le premier clip, écoutez la manière dont le mâle adulte module son chant lorsqu’il enseigne à un oisillon ou, comme dans le second clip, lorsqu’il chante pour lui-même (ce qui équivaudrait au fait de chanter sous la douche). En tant que tuteur, il fait des pauses entre chaque vocalise, probablement une technique qui permettrait à l’oisillon de bien distinguer et donc de mieux apprendre le chant.

Constituer un chœur d'oiseaux mondial en faisant appel à la science citoyenne

Pour avoir une meilleure idée de ce que le chant des oiseaux est susceptible de nous apprendre, l’équipe de Jon Sakata participe à un projet de science citoyenne mondial dans le cadre duquel les accros d’ornithologie du monde entier sont invités à téléverser des enregistrements des diverses espèces qu’ils entendent. À l’aide de ces fichiers, l’équipe de recherche a relevé des phénomènes acoustiques communs au chant d’environ 300 espèces d’oiseaux, ainsi que plusieurs similitudes entre ces modèles et la parole et la voix humaines.

Par exemple, l’équipe de recherche a observé une préférence pour les faibles variations de la fréquence de la voix. En effet, à l’exception de quelques virtuoses, les personnes qui chantent passent rarement d’une tonalité très basse à une tonalité très haute. Au contraire, comme les oiseaux, elles ont tendance à enchaîner les notes en conservant une fréquence acoustique comparable.

Nous retrouvons également un phénomène qui, dans le discours, consiste à accentuer les syllabes en alternance. « Le rythme "fort, fort, faible, faible" est rare, explique le chercheur. Le plus souvent, l’accent est placé de manière à créer un contraste, alternant les syllabes de forte et de faible intensité. Cette alternance de l’accentuation se présente dans plusieurs langues du monde. » Il en va de même pour le chant des oiseaux.

Un autre phénomène commun est l’allongement final de la phrase, qui consiste à allonger le dernier son d’une phrase, et ce, aussi bien dans le langage humain que dans le chant des oiseaux.

Les oiseaux aiment tellement produire ces schémas que lorsqu’on leur fait écouter une sélection aléatoire de notes ayant une fréquence et une accentuation différentes, ils les réorganisent de façon à « reproduire ces principes universels du langage et de la musique, ajoute Jon Sakata. Ainsi, ils émettent une vocalise où la dernière syllabe est la plus longue et où l’accentuation alterne entre sons bas et aigus ». 

Toutefois, le chercheur reste pragmatique lorsqu’il analyse cette relation entre l’être humain et le monde aviaire. « Cette explication est logique, car il est très difficile de passer d’un son grave à un son aigu sans fausse note, en particulier lorsque le rythme est rapide, estime-t-il. Des contraintes motrices pourraient aussi influer sur la modulation de la séquence des sons émis par les oiseaux, de la même manière que ces contraintes motrices façonneraient la séquence des sons produits par les chanteurs et chanteuses. » Par exemple, l’allongement final d’une phrase pourrait être un phénomène engendré « naturellement » par la respiration, le son s’échappant au fur et à mesure que les poumons et le diaphragme se détendent.

Jon Sakata n’en demeure pas moins impressionné par cette ressemblance entre notre manière de communiquer et celle des créatures ailées. « Je trouve fascinant que ces mêmes schémas se retrouvent à la fois chez l’être humain et l’oiseau, et que cette faculté ne soit pas nécessairement unique à notre espèce. »

Deux oiseaux au bec orange vif posés sur un perchoir en bois.