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Comment la recherche canadienne pourrait nous aider à déterminer si nous sommes seuls dans l’univers

Le télescope spatial James-Webb est équipé d’une invention exclusivement canadienne qui révèle, avec l’aide de recherches sur Terre, la composition des exoplanètes et la possibilité qu’elles abritent une forme de vie
Par
Roberta Staley
Établissement(s)
Université Bishop's
Province(s)
Québec
Sujet(s)
Espace
Astronomie
Des étoiles au premier plan apparaissent brillantes avec des pointes de diffraction à six points, en raison de la forme des miroirs du télescope James-Webb. Il s’agit de l’amas de galaxies SMACS 0723, qui agit comme une lentille gravitationnelle, déviant la lumière des galaxies plus lointaines, qui apparaissent comme des taches lumineuses plus brouillées.

Cet été, lorsque vous regarderez les étoiles en songeant à l’éventualité d’une vie extraterrestre, sachez que certains des plus grands esprits au monde n’ont jamais été aussi près de trouver la réponse à cette éternelle question, en partie grâce à la contribution canadienne au télescope spatial James-Webb (JWST).

Lancé dans l’espace le 25 décembre 2021, le télescope James-Webb a commencé à transmettre des images en couleur à la Terre pour la première fois en juillet 2022.

Cent fois plus puissant que son célèbre prédécesseur Hubble, ce télescope permet aux astronomes d’étudier les origines de l’univers et de remonter à 13,8 milliards d’années, soit plus loin que jamais. Alors que Hubble suit une orbite proche de la Terre, James-Webb est beaucoup plus loin, suspendu entre l’attraction gravitationnelle du Soleil et de la Terre à 1,5 million de kilomètres. Résultat : une vue dégagée grâce à laquelle le télescope observe des parties plus reculées de l’univers.

Les scientifiques d’organismes tels que l’Agence spatiale canadienne, l’Agence spatiale européenne et la NASA, disposent ainsi d’un accès sans précédent à l’univers et d’un nouvel instrument extraordinaire pour répondre aux questions fondamentales sur son origine.

Sommes-nous seuls dans l’univers? Une invention canadienne pourrait permettre de répondre à cette question…

Un dispositif mis au point au Canada ajoute une dimension supplémentaire aux capacités du télescope : la possibilité de caractériser les exoplanètes (les planètes situées en dehors de notre système solaire) selon la composition chimique de leur atmosphère. L’imageur et spectrographe sans fente dans le proche infrarouge (NIRISS) sépare la lumière en couleurs. En examinant le spectre de la lumière qui filtre à travers l’atmosphère d’une exoplanète, les équipes de recherche peuvent en déterminer la composition chimique, c’est-à-dire son empreinte moléculaire, explique Jason Rowe, titulaire de la chaire de recherche du Canada en astrophysique exoplanétaire et professeur au Département de physique et d’astronomie de l’Université Bishop’s, à Sherbrooke, au Québec. M. Rowe a fait partie de l’équipe qui a construit le NIRISS à l’Université de Montréal à partir de 2015. Il a aussi participé à la création et à l’essai du logiciel qui fait fonctionner l’instrument.

Le télescope James-Webb mesure les changements de lumière avec une extrême précision : il repère des exoplanètes jusqu’à 1000 années-lumière, poursuit M. Rowe. Cela équivaut, selon lui, à détecter une luciole dans le faisceau d’un phare à plusieurs centaines de kilomètres de distance.

La vie existe-t-elle ailleurs dans l’univers?

Graphique représentant la longueur d'onde de la lumière par rapport au niveau de lumière bloqué. Derrière le graphique se trouve l’image d'une planète. Le tout résulte de l’imageur et spectrographe sans fente dans le proche infrarouge (NIRISS) qui se trouve à bord du télescope spatial James-Webb et se nomme : « Composition atmosphérique de l’exoplanète géante WASP-96 b ».

Rowe dirige un projet de recherche financé par la FCI qui utilise de puissants ordinateurs pour découvrir et caractériser des exoplanètes, notamment celles que cible le NIRISS. Parmi les millions d'étoiles, lui et son équipe recherchent depuis la Terre, celles devant lesquelles une exoplanète passerait. Ces événements sont rares et transitoires. La lumière de l'étoile apparait soudainement plus faible car elle est en partie bloquée par l’exoplanète, ce qui donne aux chercheurs et chercheuses des indices sur sa taille et sa température.

Grâce au NIRISS, les équipes de recherche peuvent déterminer la quantité d’oxygène, de méthane, d’eau et de dioxyde de carbone, ainsi que la température d’une exoplanète, car chaque produit chimique bloque une quantité de lumière différente à des longueurs d’onde particulières.

« Nous mesurons la luminosité sur différentes longueurs d’onde dans l’infrarouge. Nous effectuons ensuite des calculs précis de la quantité de lumière que bloque la planète. Et pour finir, nous en déduisons de quoi se compose l’atmosphère », mentionne M. Rowe.

Or, ce n’est pas si simple. Selon René Doyon de l’Université de Montréal, directeur de l’équipe canadienne du télescope spatial James-Webb, pour arriver à interpréter l’atmosphère d’une exoplanète, il faut en connaître la densité. Et celle-ci se calcule à partir de la masse et du rayon qui ne peuvent être mesurés qu’à partir de la Terre.

C’est là qu’intervient un autre outil de recherche financé par la FCI. SPIRou (une abréviation de Spectropolarimètre infrarouge ou spectropolarimètre proche-infrarouge), un instrument installé sur le télescope Canada-France-Hawaii au sommet du volcan Mauna Kea, à Hawaii, est particulièrement bien placé pour nous fournir les données manquantes. En effet, il observe les changements à la lumière infrarouge émise par les étoiles, qui révèlent la présence d’une planète en orbite. Ces observations, conjuguées à d’autres techniques, permettent aux chercheurs et chercheuses de calculer la masse et le rayon de la planète.

Les données obtenues à l’aide de SPIRou peuvent également révéler si une planète possède un noyau, si elle est rocheuse ou si elle contient une quantité importante d’eau. En août dernier, SPIRou a d’ailleurs joué un rôle déterminant dans la découverte d’une exoplanète légèrement plus grosse que la Terre qui pourrait être recouverte d’un vaste océan, ce qui en fait une cible de choix pour le télescope spatial James-Webb grâce auquel on pourra déterminer si l’atmosphère est susceptible d’abriter la vie, explique M. Doyon.

Ensemble, ces instruments devraient fournir des réponses aux questions suivantes : les exoplanètes ressemblent-elles aux planètes de notre système solaire? La vie existe-t-elle ailleurs dans l’univers?

Rowe prévient que rien ne nous autorise à espérer ni ne prouve que l’on découvrira une vie intelligente. Cependant, les bizarreries de la chimie atmosphérique d’une exoplanète pourraient indiquer la présence d’organismes vivants, précise-t-il.

Doyon abonde en ce sens. Bien qu’il n'y ait actuellement aucune preuve de l’existence d’autres planètes habitables, il se montre optimiste. « Nous pensons obtenir cette preuve grâce au télescope spatial James-Webb, ce qui serait une première. »

En orbite pendant 20 ans et un rôle de premier plan pour le Canada

Selon M. Rowe, le télescope James-Webb devrait maintenir son orbite autour de la Terre pendant une vingtaine d’années. Composé de divers métaux et pourvu de miroirs revêtus, ce télescope rigide possède des qualités thermiques qui l’empêchent de se dilater, ce qui, autrement, altérerait son efficacité. Son système électronique est doté de circuits intégrés résistants qui l’immunisent contre les rayons cosmiques du soleil. « Dans l’ensemble, il s’agit de matériaux assez communs, mais qui ont subi des tests rigoureux ou ont été assemblés pour résister dans l’espace », indique M. Rowe.

En raison des contributions du Canada au NIRISS, le pays possède une garantie de cinq pour cent du temps d’observation des images que rapporte le télescope James-Webb. Cela confère à M. Rowe, aux membres de son laboratoire d’études exoplanétaires de l’Université Bishop’s ainsi qu’à d’autres scientifiques basés au Canada la propriété exclusive des données pendant un an, ce qui facilitera la publication d’articles de recherche. C’est l’occasion pour les scientifiques au Canada « d’en apprendre davantage sur les mondes lointains », conclut M. Rowe, et de diffuser les résultats de leurs recherches auprès d’un public mondial enthousiaste.