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Comment les souvenirs remontent-ils à la surface?

Sheena Josselyn du SickKids Hospital de Toronto s’attache à comprendre comment un souvenir en entraine un autre, une découverte qui aurait d’importantes conséquences notamment pour le traitement de l’état de stress posttraumatique et de la schizophrénie

Par
Sharon Oosthoek
Établissement(s)
The Hospital for Sick Children
Sujet(s)
Neurosciences
Des points reliés par des lignes bleues forment un cerveau

Certains souvenirs semblent indissociables. L’évocation de l’échange des vœux le jour de votre mariage vous rappelle peut-être votre cousin qui avait pris un verre de trop ce soir-là. Or, des chercheurs du Hospital for Sick Children de Toronto ont réussi à comprendre ce qui fait que le cerveau lie ensemble certains évènements et de quelle manière les « dissocier », du moins chez les souris.

Les résultats de cette étude pourraient avoir une incidence sur le traitement de certains troubles psychiatriques, y compris l’état de stress posttraumatique et la schizophrénie qui sont associés à l’établissement de liens erronés dans le cerveau. Ainsi, un simple mot ou un objet anodin peut faire ressurgir le souvenir d’une expérience effrayante, affirme Sheena Josselyn, neuroscientifique au SickKids Hospital et responsable du projet de recherche.

Mme Josselyn et son équipe savaient déjà que le cerveau entreposait les souvenirs dans un petit groupe de neurones appelé engramme. « Lorsqu’on demande à une personne de se rappeler un souvenir, l’activité de ces neurones s’intensifie. Mais si on interfère avec ceux-ci, il devient plus ardu de faire remonter un évènement à la mémoire », explique la chercheuse.

Le cerveau comporte toutefois un nombre incroyable de neurones. Lesquelles formeront l’engramme qui enregistrera des souvenirs en particulier et pourquoi certains évènements sont-ils liés? En menant des expériences sur des souris, Mme Josselyn, de concert avec le neuroscientifique Paul Frankland et ses collègues, a pu répondre à ces questions.

L’équipe a ciblé les amygdales – une paire de grappes de neurones en forme d’amande située au cœur du cerveau. Les amygdales constituent le siège des souvenirs associés à la peur et à la gratification. On a découvert au laboratoire de la chercheuse que parmi les milliers de neurones contenus dans les amygdales, seuls les plus actifs ou excitables au moment d’un évènement se saisissent du souvenir. De plus, cette excitabilité semble aléatoire.

Les chercheurs en sont venus à cette conclusion après avoir placé des souris dans des chambres où elles étaient exposées à une tonalité aigüe, immédiatement suivie d’une faible décharge électrique au pied. Par la suite, on leur faisait entendre une tonalité basse, suivie du même type de décharge. Éventuellement, les souris se rappelaient que la perception d’une tonalité – aigüe ou basse – précédait une décharge, et elles figeaient sur place à l’émission du son.

Au cours de l’expérience, les chercheurs n’ont changé qu’une variable : l’intervalle de temps entre l’émission d’une tonalité suivie d’une décharge. Ainsi, lorsque deux épisodes se produisaient à moins de six heures d’écart, les souvenirs étaient liés dans le cerveau des souris. C’est dire que le même engramme s’était saisi des deux souvenirs.

Par ailleurs, l’équipe a découvert que suivant l’encodage d’un souvenir, les neurones des engrammes demeuraient actifs environ six heures avant que le degré d’excitabilité ne redevienne le même que celui des neurones voisins. Ainsi, dans l’éventualité où un second épisode surviendrait au cours des six prochaines heures, ce souvenir serait encodé dans le même engramme que le premier évènement, et les deux seraient alors liés.

Les chercheurs ont également démontré le lien existant entre deux souvenirs en manipulant un premier souvenir et en observant l’incidence sur le second. Pour ce faire, ils ont réalisé à nouveau l’expérience en rejouant la tonalité à maintes reprises sans que cela n’entraine de conséquence afin que les souris cessent d’établir un lien entre la tonalité aigüe et la décharge au pied qui s’ensuivait. Après un certain temps, les souris ne se figeaient plus systématiquement à l’émission de la tonalité.

Les chercheurs ont ensuite examiné les effets sur le second souvenir (intact). Ils ont émis une tonalité basse et découvert que, pareillement, les souris n’y associaient plus le souvenir de la décharge au pied. Conclusion : les deux souvenirs sont liés s’ils se produisent à moins de six heures d’écart, et lorsque le premier s’efface, le second disparait également.

À l’inverse, si l’émission d’une tonalité suivie d’une décharge se produisait dans un intervalle de plus de six heures, le lendemain par exemple, le souvenir du deuxième évènement était encodé dans un engramme différent. Les souris s’en souvenaient alors comme d’évènements complètement distincts. Les chercheurs pouvaient effacer un souvenir, mais le second restait intact.

« Savoir comment une souris arrive à se rappeler certaines choses nous aide à mieux saisir le fonctionnement du cerveau, mais cela est aussi un élément essentiel pour comprendre, traiter et, je l’espère, guérir les troubles mentaux et neurologiques complexes », explique la chercheuse.