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Le biskaabiiyang ou restaurer le pouvoir et l’autorité de nations autochtones souveraines

Un travail de recherche sur les formes traditionnelles de gouvernance autochtone se penchera sur la résurgence du rôle exercé par les jeunes, les femmes, les personnes bispirituelles ou transgenres au sein des communautés autochtones.
Par
Cole Buhler
Établissement(s)
Toronto Metropolitan University
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Sciences sociales
Communications et médias
Ensemble de bâtiments bas et de maisons, le long d'un rivage plat. Au premier  plan se trouve de l'eau.

Dès cet été, le chercheur Damien Lee séjournera auprès de Premières Nations de l’Ontario afin d’amener les communautés à raconter la relation qu’elles entretiennent avec la gouvernance de leur territoire et les rôles politiques traditionnels autochtones. Pour ce faire, il combinera les mèmes à une méthodologie fondée sur le biskaabiiyang [bish-kaa-bee-yung].

« Biskaabiiyang » est un mot de la langue anichinabée qui désigne « la restauration ». Il s’agit donc de faire ressurgir la manière dont les peuples autochtones vivaient, travaillaient et faisaient de la politique autrefois, sans égard à la violence engendrée par la colonisation. « Selon Gidigaa Migizi, le terme biskaabiiyang se définirait telle “l'éclosion d’une fleur au printemps”, explique Damien Lee, ce qui se traduirait par un retour à soi. »

Gidigaa Migizi (Doug Williams), éminent gardien du savoir, chasseur, aîné et ancien chef de la Première Nation de Curve Lake de Mississauga, est décédé en juillet 2022. Avant sa mort, il s’est entretenu à plusieurs reprises avec le chercheur sur le sens que revêt le biskaabiiyang.

Damien Lee est titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur le biskaabiiyang et la résurgence politique autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto (en anglais seulement). Né blanc, il est adopté et réclamé comme l’un des leurs par les gens de la communauté anichinabée de Fort William. Il perçoit donc de l’intérieur comment la violence coloniale se manifeste par le rejet des formes traditionnelles de gouvernance autochtone.

Les politiques autochtones : bien plus qu’un héritage culturel

Depuis fort longtemps, les pratiques liées à la naissance, à la langue et aux ressources naturelles façonnent les structures politiques inhérentes aux communautés autochtones. Les sages-femmes, les gardiens du savoir et les chasseurs ont édifié des structures politiques complexes depuis des temps immémoriaux, et ces rôles étaient occupés par des femmes, des personnes bispirituelles ou transgenres. Les systèmes coloniaux ont non seulement désamorcé ces pratiques sur le plan politique en les qualifiant de « rituels culturels », mais également marginalisé les membres de la communauté qui occupaient autrefois des fonctions politiques précises et exerçaient une influence liée à leur identité.

Comment ces communautés réussiront-elles à gérer leur politique interne maintenant qu’elles ont rejeté le colonialisme? Comment les peuples autochtones vont-ils restaurer une gouvernance fondée sur le clan, tout en comblant les lacunes en matière de connaissances résultant du génocide dont ils ont été victimes? C’est à ces questions que tente de répondre le projet de recherche mené par Damien Lee.

« En ce qui concerne l’identité, ma conception actuelle de la souveraineté et de la recherche sur la gouvernance anichinabée repose en grande partie sur l’élimination progressive de l’hétéropatriarcat et de l’homophobie, explique-t-il. Il s’agit de clarifier le rôle des femmes et des personnes bispirituelles ou transgenres autochtones qui exercent des fonctions politiques au sein de la communauté anichinabée, afin qu’elles soient perçues en qualité de guides et de personnes dignes de respect. »

Perpétuer la tradition grâce à la technologie moderne

Damien Lee travaillera en collaboration avec la Première Nation de Moose Cree située sur les rives de la baie James. Natasha Martin est directrice intérimaire de la restauration de la nation au sein du conseil Mushkegowuk de Moose Cree, où elle apporte soutien et assistance à sept communautés établies le long de la côte de la baie James, jusqu’à Sault Ste. Marie. Elle a hâte de voir quelle sera l’incidence de ce projet de recherche, plus particulièrement sur les jeunes de ces communautés.

« C’est difficile de toucher les jeunes et de les amener à jouer un rôle en matière de gouvernance. Comment pouvons-nous y arriver? », se demande-t-elle. C’est ici que le chercheur entre en jeu.

Grâce à un laboratoire de recherche qualitative mobile financé par la FCI, Damien Lee collaborera avec les membres de la communauté afin de concevoir des mèmes et divers contenus audiovisuels. Ce matériel pourra ensuite être utilisé par les Premières Nations pour sensibiliser la nouvelle génération de jeunes à l’importance de conserver les formes traditionnelles de gouvernance.

« Ce laboratoire mobile est en fait une autocaravane transformée en laboratoire audiovisuel doté de la technologie et d’équipements de pointe, explique le chercheur. Notre objectif est de nous rendre dans les communautés pour nous pencher collectivement sur les thèmes liés aux relations, aux traités et à la gouvernance du territoire. »

Même si le chercheur ne s’estime pas particulièrement créatif, il est fasciné par l’utilité grandissante des mèmes et du TikTok autochtone. Les concepteurs et conceptrices des mèmes autochtones transforment le visage des médias sociaux en créant des contenus à la fois drôles et intelligents, grâce auxquels ils traitent de sujets complexes à l’intention d’un public souvent peu sensibilisé aux enjeux autochtones.

« Les mèmes jouent un rôle primordial lors de mes rencontres avec les jeunes, parce que si je ne fais que parler, je peux en moins de deux endormir toute la classe » plaisante le chercheur. « Mais quand je partage la scène avec des jeunes qui ont imaginé des mèmes géniaux sur les traités, je suis vite éclipsé. Je me retire alors pour devenir une composante du processus parmi d’autres. »

Les vertus du biskaabiiyang : restaurer, favoriser et entretenir les modes de vie traditionnels

La résurgence politique autochtone est un sujet qui ne fait pas l’unanimité au pays, qu’il s’agisse de réclamer des services de protection infantile ou de se frayer un chemin dans les labyrinthes de la gouvernance interne. Malgré tout, les communautés et les organismes autochtones s’affranchissent peu à peu du colonialisme provincial et fédéral.

Natasha Martin espère que les recherches de Damien Lee contribueront au processus de réappropriation des droits naturels et modes de vie, non seulement ceux des Anichinabés, mais aussi des Nehiyaws, soit le peuple cri des plaines.

« Nous renouons avec les traditions naturelles de notre peuple, affirme-t-elle. La Première Nation de Moose Cree souligne les 350 ans de l’établissement d’un poste de traite. C’est dire à quel point l’empreinte coloniale est ancrée en nous. Nous menons une lutte constante pour nous défaire de tout ce dont on nous a couvert, et découvrir qui nous sommes... Et nous collaborons avec les nations anichinabées pour retrouver notre identité. »

« Un phénomène se répand au sein des communautés avec lesquelles je travaille, constate Damien Lee. Elles se désengagent des organisations régionales et territoriales qui se sont déclarées responsables de la gestion du territoire autochtone. Elles affirment être titulaires des droits issus des traités, et non « tierce partie » tout simplement ou « intermédiaires » auxquels on concède l’accès aux terres de la Couronne... Et tout en se désengageant, elles réaffirment leur statut, se positionnant plutôt en tant que partie assumant la responsabilité première de ces relations. »

Investir dans les communautés autochtones

Damien Lee s’investit dans la recherche sur le biskaabiiyang à titre personnel. En tant que partenaire et collaborateur, il souhaite que ses travaux montrent que les peuples autochtones possèdent le pouvoir et l’autorité nécessaires pour diriger et gouverner selon leurs propres systèmes. Reprenant le thème du retour à soi inhérent au biskaabiiyang, il évoque ce qui l’a poussé à devenir chercheur, à savoir sa grand-mère.

« Quand j’étais adolescent, ma grand-mère m’a raconté une histoire à propos des déchets industriels qui polluaient la réserve [de Fort William], confie le chercheur. Elle était préoccupée par la mort des arbres et est ainsi devenue activiste et chercheuse. J’ai été marqué par ce récit parce qu’il n’émanait pas du bureau du conseil de bande, mais d’une femme de la réserve qui coordonnait, de concert avec d’autres femmes, les mesures à prendre pour assurer la santé de la communauté... S’investir, c’est agir sur le terrain et prendre tous les moyens possibles pour atteindre ses objectifs. C’est ce pour quoi je suis ici. »

Cole Buhler (il/lui) est coordonnateur des relations avec les médias au sein de l’agence de relations publiques pipikwan pêhtâkwan d’amiskwacîwâskahikan (Edmonton). Il est titulaire d’un diplôme en communication (spécialisation en journalisme), obtenu en 2021 de l’Université MacEwan.

Écrivain et journaliste multiethnique, il est d’origine nehiyaw (peuple cri des plaines), par ses deux 
kokums (ou grands-mères). Il revendique des racines irlandaises, par son grand-père maternel, et allemandes, par son grand-père paternel.

Cole Buhler a grandi coupé de son patrimoine et de sa communauté, mais cela ne l’a pas empêché de renouer avec ses origines et son identité.