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Étudier l’écologie de la faune sauvage « de façon positive »

La chercheuse Jesse Popp travaille en partenariat avec des communautés autochtones afin de comprendre leurs questions les plus pressantes en ce qui concerne la biodiversité, les plantes et les animaux du territoire.
Par
Kelly Boutsalis
Établissement(s)
Université de Guelph
Province(s)
Ontario

Comme tout écologiste de la faune sauvage, Jesse Popp observe le comportement des animaux et étudie le déclin de leur population au moyen de méthodes scientifiques.

Toutefois, l’approche adoptée par la chercheuse afin d’étudier de grands mammifères tels que les loups et les orignaux et qui l’amène, elle et son équipe, à sillonner les territoires des Premières Nations de l’Ontario, notamment de Wiikwemkoong, de Batchewana et de Magnetawan, sort des sentiers battus en empruntant un angle inhabituel.

Jesse Popp évoque le récent souvenir d’une journée de recherche typique. Elle et son équipe de recherche avaient été invitées à se rendre sur le territoire de Wiikwemkoong par l’Aîné Theodore Flamand, coordonnateur des espèces menacées du ministère des Terres et des Ressources naturelles de la communauté. Au départ, il s’agissait d’aider à mettre en place un camp destiné à rapprocher les jeunes des Premières Nations de la terre et à leur faire découvrir les projets de recherche menés par la chercheuse.

Jesse Popp, qui est également membre de la communauté de Wiikwemkoong, se rappelle que cette journée ne s’est pas déroulée comme prévu. En effet, son équipe, qui travaille sur divers projets de recherche à la fois, souhaitait profiter de sa présence sur le territoire afin de recueillir des données auprès des jeunes. Une personne souhaitait poser des filets pour observer les insectes, tandis qu’une autre voulait construire des abris à chauves-souris. Cependant, à leur arrivée au bureau de Theodore Flamand, celui-ci avait une autre proposition à leur faire. Il leur dit, sans préavis : « En passant, la classe de maternelle vous invite à venir faire une activité interactive. »

Les cérémonies traditionnelles font partie des travaux de recherche

L’équipe de recherche a donc pris part à l’activité de la classe de maternelle. Or, comme le camp de jeunes ne commençait que le lendemain, l’Aîné Theodore Flamand lui a proposé d’assister, entre-temps, à la cérémonie du Loup. Il s’agissait de l’enterrement d’un loup, mort de causes naturelles, ayant contribué à leurs activités de recherche. L’équipe de Jesse Popp, ainsi que plusieurs classes de l’école primaire, le Chef et le Conseil, les Aînées et Aînés et les responsables des espèces menacées ont donc pris part à cette cérémonie traditionnelle. La chercheuse raconte que le groupe a d’abord témoigné son respect à l’animal qui lui a permis d’entrer dans sa vie et l’a remercié des renseignements obtenus grâce à lui. Après la cérémonie, Theodore Flamand a emmené l’équipe de recherche à la pêche sur les eaux de Point Grondine. La journée s’est ensuite terminée par un repas de poisson-frites à son endroit préféré.

Il arrive souvent que nos journées ne se déroulent pas comme nous l’avions prévu, explique Jesse Popp, à la tête du laboratoire sur la faune sauvage, les sciences autochtones et l’écologie (WISE – en anglais seulement) à l’Université de Guelph (en anglais seulement) et titulaire de la chaire de recherche du Canada en science environnementale autochtone.

Dans le cadre de ses activités de recherche, elle tente de mobiliser le plus grand nombre possible de membres de la communauté : des Aînées et Aînés, qui peuvent transmettre leur savoir, ainsi que des jeunes, qui découvrent des pratiques liées à la terre qui ne leur ont pas encore été transmises.

« À première vue, cette démarche ne semble pas très pertinente au regard de la recherche, mais elle fait partie du processus, explique la chercheuse. Nous créons des liens en nous amusant, en participant à différentes activités, en apprenant les uns des autres, en collaborant à l’élaboration des projets et en travaillant ensemble », explique-t-elle.

Ses travaux de recherche portent sur le déclin des populations de grands mammifères et les moyens de réduire les collisions entre la faune et les trains. Mais il s’agit avant tout de collaborer avec les communautés autochtones en vue de mettre en place des programmes de suivi et de connaître leurs principales préoccupations en matière d’écologie. À l’heure actuelle, l’équipe étudie notamment le loup de l’Est, la chauve-souris, l’orignal et d’autres espèces menacées, dont des insectes et des plantes.

La chercheuse fonde sa pratique de la recherche sur l’entrelacement des modes de connaissance autochtones et occidentaux, la collaboration étant au cœur de sa démarche. Ainsi, lorsqu’elle se rend dans des communautés autochtones pour y mener des recherches, son objectif premier consiste à effectuer son travail « de façon positive ». Cette expression résume, pour nombre de communautés autochtones, la façon de se déplacer dans l’espace en faisant preuve de respect et de bonnes intentions, tout en honorant la communauté et ses valeurs.

Établir une relation de confiance : une étape primordiale

La communauté attache une grande importance à l’approche de la chercheuse. L’Aîné Theodore Flamand connaît cette dernière depuis une dizaine d’années; tous deux participaient alors à un comité de restauration de la population de wapitis à Sudbury, en Ontario. Il estime que le fait qu'elle tienne compte des coutumes, des traditions et des croyances autochtones a grandement contribué à gagner la confiance des autres membres de la communauté.

« Les personnes avec lesquelles nous travaillons acceptent de plus en plus d’intégrer nos croyances afin d’avancer ensemble, qu’il s’agisse des professeures et professeurs ou d’autres spécialistes issus du monde occidental qui franchissent le seuil de notre réserve. Et le rôle de Jesse Popp est de veiller à ce que nos façons de faire soient prises en compte dans le produit final », explique l’Aîné.

Au cours des dernières années, l’équipe de Jesse Popp et l’Aîné Theodore Flamand ont collaboré à de nombreux projets, notamment à celui intitulé Mhiingaan Waat Saa Maa Jig, qui signifie « marcher avec les loups », dans le cadre duquel on a suivi les déplacements de loups; à un autre visant à identifier les espèces de chauves-souris en voie de disparition et à rétablir les relations entre la communauté et ce mammifère; à un projet sur les plantes pollinisatrices qui étudie les insectes et les plantes qu’ils pollinisent; ainsi qu’à de nombreuses initiatives liées à l’acquisition du savoir fondées sur la terre conçues à l’intention des jeunes.

« Nous collaborons surtout avec les peuples et les organisations autochtones afin d’aborder les enjeux environnementaux qui sont importants à leurs yeux », explique Jesse Popp. Elle ajoute que son laboratoire adopte une approche un peu différente de celle préconisée par la recherche traditionnelle auprès des populations autochtones « en raison d’approches préjudiciables fondées sur l’exploitation qui ont été pratiquées par le passé et qui, malheureusement, se perpétuent encore de nos jours. » Par là, elle entend la manière dont certaines personnes en recherche se sont emparé des ressources, du savoir et d’autres biens appartenant aux communautés et qui, après avoir obtenu ses résultats, repartait sans autre forme de considération.

Mener des travaux de recherche inclusifs sur la biodiversité

Soucieuse de répondre avant tout aux besoins de la communauté, Jesse Popp veille à ce que son équipe partage les résultats avec celle-ci du début à la fin du processus. L’équipe de recherche participe également à des activités organisées par la communauté, comme les pow-wow, rencontre les jeunes et leur parle de ses projets. Au terme des travaux, elle transmet ses résultats à toutes les personnes qui ont mis leur savoir à profit à chaque étape du projet afin qu’elles les valident. En plus de faire des présentations, l’équipe diffuse ses résultats de diverses façons, notamment en organisant des activités à l’occasion d’événements. Il peut s’agir, par exemple, de montrer aux jeunes des photos prises à l’aide de pièges photographiques de suivi de la biodiversité et de leur demander d’identifier les animaux concernés.

Portrait de Jesse Popp

Selon la chercheuse, c’est grâce au financement de la FCI que ces travaux ont pu être menés à bien. « Nous travaillons sur le terrain, explique-t-elle. Toutes nos activités ont lieu sur le territoire, au sein de la communauté et dans des régions très reculées. » Les fonds de la FCI ont permis d’acquérir l’infrastructure clé nécessaire à la réalisation de ces activités sur le terrain, notamment un camion, une roulotte de camping, ainsi que des caméras portatives, un téléphone satellite et des enregistreurs audio.

À l’heure actuelle, Jesse Popp se penche sur les moyens à mettre en œuvre pour que la communauté puisse poursuivre le travail.

Nous mettons au point ce que nous appelons des trousses à outils, c’est-à-dire un ensemble d’instructions permettant à une communauté de poursuivre son travail en restant mobilisée », explique-t-elle. Pour ce faire, il faut tenir compte des valeurs et de la langue de la communauté tout en favorisant la participation des jeunes et des Aînées et Aînés. « Il ne s’agit pas de simples directives fondées sur une perspective occidentale de la science, mais d’une démarche visant à enrichir la communauté. »


Kelly Boutsalis est une journaliste mohawk de la bande Six Nations de Grand River. Installée à Toronto, elle écrit principalement des articles qui abordent les questions autochtones.


Le projet de recherche présenté dans cet article est également financé par le Programme des chaires de recherche du CanadaEnvironnement et Changement climatique Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du CanadaMitacs et le Conseil de recherches en sciences humaines.