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Planifier pour un avenir incertain

Roseann O’Reilly Runte, présidente-directrice générale de la Fondation canadienne pour l’innovation, partage son opinion sur l'avenir après la pandémie

Aujourd’hui, partout au pays et dans le monde entier, nous sommes plongés en pleine crise. Tout en gérant les problèmes quotidiens qui surviennent, nous essayons d’imaginer les meilleurs moyens possibles de soutenir notre pays alors que nous émergeons (car nous nous en sortirons!) de cette pandémie. Nous ne savons pas exactement combien de temps durera ce fléau, s’il s’agit d’un événement unique ou d’un virus qui ressurgira, voire subira une mutation avant de revenir en force, encore et encore.

Nous ne pouvons pas encore mesurer l’efficacité de nos interventions. L’étude des épidémies passées, bien qu’elle soit éclairante, n’est pas extrêmement utile, car le monde a depuis été complètement transformé par l’enrichissement des connaissances scientifiques, l’avènement des technologies, l’amélioration des communications et des transports, ce qui s’est traduit par le déplacement rapide des populations et des produits. Les êtres humains, eux, sont toutefois demeurés les mêmes. Lorsque la peste noire a pris fin il y a quelques siècles par exemple, les gens ont commencé aussitôt à s’aventurer hors de leur foyer et à se réunir à nouveau. Il n’y a pas si longtemps même, pendant l’épidémie du SRAS, nous avons cessé de nous serrer la main, mais peu après nous sommes revenus à nos vieilles habitudes.

Dans ce contexte, comment assurer une planification efficace pour l’avenir? Une des prochaines étapes sera certainement d’envisager, dans le cadre de nos processus d’évaluation et de gestion des risques, la possibilité qu’éclateront d’importantes crises imprévues. Par le passé, nous nous sommes généralement penchés sur les risques les plus susceptibles de toucher notre organisme. Nul doute que pour beaucoup d’entre nous, en particulier ceux qui ne s’y connaissent pas en épidémiologie, la pandémie ne figurait pas sur cette liste. Les grandes inondations et les feux de forêt dévastateurs n’y étaient probablement pas inscrits non plus d’alleurs.

En tant que chercheurs, nous pouvons énumérer les maux susceptibles de porter atteinte à la condition humaine et de nuire à son rendement. Il serait ensuite alors possible de se replier et d’ériger un système de défense, un peu comme les bunkers construits à l’époque de la guerre froide. Cependant, selon une perspective inverse, on pourrait se demander quelles seraient les connaissances essentielles dont nous avons besoin pour éviter et prévenir ces catastrophes. Plutôt que d’envisager d’atténuer les effets de telles crises, on peut planifier de réunir les conditions qui rendraient quasi impossible leur éclosion. À titre d’exemple, au lieu de construire une digue pour réduire les dégâts occasionnés par les inondations, on pourrait se pencher sur les causes de ces débordements. Autre revirement, lors d’une épidémie de polioencéphalite, on avait d’abord conçu des poumons en métal avant de se tourner rapidement vers la nécessité de mettre au point un vaccin efficace.

Les défis auxquels l’humanité est confrontée pourraient possiblement se résumer en trois mots : santé, économie et environnement. Ces trois idées sont inextricablement liées. En effet, sans la santé, impossible de travailler, l’économie en souffre donc et on ne peut pas relever les défis associés à l’environnement. De même, en l’absence d’une économie forte, la santé et l’environnement en subissent les contrecoups, et sans un environnement sain, la santé et l’économie accusent des retards. Ces trois enjeux résument bien les objectifs de développement durable des Nations Unies, à l’échelle locale, nationale et mondiale. Et chacun des habitants de la planète est concerné.

Si l’on se concentrait à faire progresser ces trois domaines, on pourrait avoir en commun les mêmes plans et objectifs, les mêmes espoirs et préoccupations. Tous ‒ individus, organismes ou pays ‒ pourraient idéalement orienter leurs efforts dans la même direction, et chaque petit pas que nous faisons, ainsi multiplié, aiderait grandement Sisyphe à pousser une fois pour toutes cette pierre métaphorique au sommet de la montagne.

Pour que la communauté de chercheurs puisse atteindre ces objectifs, il faut disposer de solides assises en matière d’éducation, d’expertise et d’équipement qui soutiendront la recherche menée dans ces domaines. Il faut aussi encourager les entreprises, les industries et les collectivités à collaborer. Il faut, enfin, adopter une perspective mondiale pour renforcer la capacité de tout un chacun à se joindre aux efforts internationaux entrepris à cette fin.

Et lorsque la crise sera chose du passé, il faudra stimuler l’économie du pays pour notre société. En ciblant trois domaines de soutien : l’environnement, la santé et le développement économique ; les décideurs disposeraient alors d’un guide de réflexions invitant à l’harmonisation de tous les efforts. Au terme de cette pandémie, nous pourrions nous retrouver avec des mandats plus clairs et une vision plus précise. Nous devrons nous assurer de repenser ce qui était et d’adopter un nouveau cadre pour accompagner cette vision afin de faire preuve de détermination pour avancer en tant que communauté de chercheurs, collectivité mondiale et pays, exerçant un leadership éclairé.

Cet article a été publié dans la série éditoriale en ligne de la COVID-19 du CSPC le 23 avril 2020.