Exploiter le potentiel de l’échantillonnage d’air passif
Par le passé, les scientifiques utilisaient des méthodes d’échantillonnage actif pour mesurer les particules et autres polluants atmosphériques inhalés par l’être humain. Pour ce faire, les sujets de recherche devaient porter un appareil lourd, alimenté par des piles, qui aspirait l’air à travers un tube absorbant. Toutefois, le prix, qui varie de 2 000 à 3 000 dollars pièce, conjugué à la nature encombrante de l’équipement, sont autant de freins à la réalisation d’études à grande échelle.
Soucieux de trouver un meilleur moyen de mesurer la qualité de l’air, Joseph Okeme s’est tourné vers le domaine émergent de dispositifs portables d’échantillonnage passif. Cette approche repose sur le processus de diffusion, selon lequel les molécules se déplacent naturellement de l’air à la surface d’un dispositif portable.
Des échantillonneurs sous forme de bracelets ou de broches ont d’ores et déjà été mis au point. Malheureusement, ces deux dispositifs présentent un risque de contamination croisée. En effet, chaque fois que le bracelet effleure la surface d’une table ou que la personne qui porte la broche serre quelqu’un dans ses bras, l’échantillon est altéré.
Joseph Okeme a trouvé une meilleure solution alors qu’il discutait avec des collègues portant des lunettes autour d’une table de conférence : des lunettes à échantillonnage passif. « Bien sûr », s’est-il dit. Non seulement les lunettes seraient moins susceptibles d’être contaminées, mais l’échantillonnage réalisé près du nez et de la bouche brosserait un portrait plus précis des polluants inhalés par une personne.
Son équipe s’est donc attelée à la mise au point de prototypes. Elle a testé différentes surfaces pour déterminer le rôle de divers matériaux sur l’absorption des produits chimiques et a étalonné ces lunettes d’essai en les comparant à des échantillonneurs actifs. Joseph Okeme a également collaboré avec des collègues en ingénierie de l’Université McMaster dans le but de munir les lunettes de capteur météorologique pour la vitesse du vent, ce qui leur a permis de comprendre l’incidence de la circulation de l’air sur l’absorption des polluants.
L’équipe de Joseph Okeme est maintenant prête à recruter des volontaires pour mettre ces lunettes bon marché à l’essai. Après les avoir portées pendant une journée, les sujets n’auront qu’à essuyer les lentilles avec une lingette imbibée d’alcool, à mettre celle-ci dans une fiole et à la renvoyer par la poste au laboratoire.
« J’ai trouvé très intéressant de travailler avec des équipements variés, certains récents ou d’autres beaucoup plus anciens... Je compte bien rester dans ce domaine. »
– Parshawn Amini, Université McMaster
La capacité de détecter 1000 produits chimiques différents
Néanmoins, le suivi de l’exposition individuelle ne représente qu’une partie du problème. Reste ensuite à analyser ces échantillons. L’air peut contenir des milliers de produits chimiques (en anglais seulement), souvent à des concentrations extrêmement faibles, et la plupart d’entre eux n’ont jamais fait l’objet d’une caractérisation.
Voilà pourquoi l’acquisition d’un nouveau système de chromatographie en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse, financé par la FCI, vient changer radicalement la donne. Une fois les lingettes en sa possession, l’équipe de recherche va extraire et concentrer chaque échantillon avant de le passer dans cet appareil d’une valeur d’un million de dollars.
« Alors qu’une approche traditionnelle réalisée à l’aide d’un appareil à faible résolution permet de détecter une dizaine de produits chimiques, le système de spectrométrie de masse Orbitrap permet de cibler avec certitude un millier de produits chimiques, explique Joseph Okeme. Nous pouvons ainsi détecter et quantifier des produits chimiques présents à l’état de traces. »
En accentuant la sensibilité de l’appareil au cours du premier cycle d’analyse, les algorithmes peuvent détecter lesquels des composés pouvant se révéler intéressants sont présents. Ces algorithmes vont ensuite augmenter la résolution de l’Orbitrap afin de comparer l’échantillon à des quantités normalisées de ces produits chimiques, ce qui permet de confirmer leur présence et de mesurer la quantité exacte de chacun d’entre eux.
« Comme l’Orbitrap a la capacité d’effectuer cette "cartographie" à l’aide de l’apprentissage automatique, nous pourrions potentiellement faire des découvertes auxquelles nous n’avions pas songé, explique Parshawn Amini, étudiant à la maîtrise au sein du laboratoire de Joseph Okeme. Nous pouvons également consulter des données antérieures et découvrir quelque chose qui nous a échappé auparavant. »
Un simple échantillonnage au service d’une analyse approfondie
Grâce à la simplicité et au prix abordable de ces lunettes à échantillonnage passif, conjuguées à une analyse à haute résolution, nous pouvons désormais mieux cerner les produits chimiques que nous respirons au quotidien.
Ainsi, l’équipe de recherche peut ratisser large et détecter des polluants dangereux qui passaient auparavant sous le radar et, ce faisant, réaliser une analyse approfondie, notamment en quantifiant l’exposition aux produits chimiques problématiques et en déterminant dans quelle mesure celle-ci varie en fonction du lieu de résidence, du lieu de travail et d’autres facteurs socioéconomiques.
Ces données permettront aux responsables de la santé publique et des politiques de réduire certains des facteurs de risque des maladies chroniques qui représentent un coût considérable pour la population canadienne.
« L’environnement dans lequel nous vivons n’est pas sans incidence, mais nous pouvons exercer un certain contrôle sur celui-ci, souligne Parshawn Amini. C’est pourquoi il souhaite mener une carrière qui lui permettra de mettre à profit ses compétences en spectrométrie de masse afin de mieux connaître les produits chimiques auxquels nous sommes exposés, d’éclairer les politiques de santé publique et de contribuer à la santé de notre population.
Rares sont les laboratoires dans le monde qui ont accès au système de chromatographie en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse Orbitrap... Je suis extrêmement reconnaissant à la FCI de m’avoir offert une telle expérience. »
– Joseph Okeme, Université McMaster
Le projet de recherche présenté dans cet article est également financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada