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Les gaz à effet de serre sous la loupe de « détectives » du Canada

Grâce à quelques judicieuses mises au point, le Laboratoire Flux a transformé un analyseur de gaz de laboratoire en un outil mobile pour mesurer, sur le terrain, les émissions provenant des fuites de pipelines, des décharges et de la fonte du pergélisol.
Établissement(s)
St. Francis Xavier University
Province(s)
Nouvelle-Écosse
Sujet(s)
Nature
Environnement
Assise derrière le volant d’un véhicule, une jeune chercheuse coiffée d’un casque de protection tape sur un ordinateur portable.

Depuis des millénaires, les sols gelés de l’Arctique renferment (et nous mettent à l’abris) d’immenses réserves de méthane. Aujourd’hui, la hausse des températures mondiales fait fondre le pergélisol, libérant de puissants gaz à effet de serre (GES). Un phénomène qui, en retour, contribue à accentuer les changements climatiques.

Dave Risk, chercheur à l’Université St. Francis Xavier (en anglais seulement), à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, souhaitait mesurer l’ampleur du problème. Mais pour ce faire, il lui fallait un outil.

En 2008 et 2009, Dave Risk et sa collègue, Lisa Kellman, ont acquis deux analyseurs de gaz financés par la FCI : des appareils de laboratoire ultrasensibles d’une valeur de 100 000 dollars chacun. Le chercheur les a transformés en unités mobiles pouvant être fixées à un camion ou à une motoneige. Il les a aussi équipés de batteries et de convertisseurs continu-alternatif (onduleurs) afin qu’ils puissent fonctionner hors réseau. Le stratagème s’est avéré fructueux.

Depuis, Dave Risk et son équipe du Laboratoire Flux (en anglais seulement) se servent de l’équipement pour recueillir des données cruciales dans tout le Nord du Canada, mais également en Alaska, en Norvège et dans l’Antarctique. Et la mesure des émissions provenant du pergélisol ne constituait que le premier chapitre de cette aventure.

Bannière verte promouvant la campagne "Prêts pour un monde en mutation" de la FCI.

Mesurer le succès du stockage du carbone

En 2010, le laboratoire a été contacté par des sociétés pétrolières et gazières sur le terrain. Le secteur envisageait le captage et le stockage du carbone dans le but de réduire ses émissions de GES. Or, il se demandait si le dioxyde de carbone stocké sous terre dans des voûtes géologiques resterait durablement en place.

Grâce à la technologie du Laboratoire Flux, il allait obtenir des réponses à sa question.

En effet, en envoyant une lumière infrarouge à travers un échantillon de gaz, les analyseurs peuvent en mesurer la quantité absorbée. Comme chaque gaz absorbe des longueurs d’onde différentes, l’outil peut établir une distinction entre les différents types d’émissions. Il peut même déterminer si un gaz donné provient d’une source naturelle ou industrielle, et ce, grâce à une légère variation des isotopes.

« Nous pouvons ainsi déterminer s’il s’agit de méthane provenant d’une zone humide, d’une exploitation agricole ou encore d’une installation pétrolière ou gazière », explique le chercheur.

À titre d’exemple, en 2011, lorsqu'une ferme de la Saskatchewan a capté l’attention de tout le pays (en anglais seulement) en affirmant que des gaz provenant d’une installation de stockage de carbone située à proximité bouillonnaient dans son étang, Dave Risk a pu déterminer que la cause était plus probablement le ruissellement d’engrais provenant des champs de maïs avoisinants. Ce faisant, il a consolidé sa réputation d’expert en mesure des émissions.

Surveiller les fuites provenant des oléoducs et des gazoducs

Portrait de Dave Risk.

Ce succès a ouvert la voie à un projet pluriannuel lancé en 2015 visant à mesurer une autre source d’émissions dans le secteur pétrolier et gazier : les gaz parasites qui s’échappent des pipelines.

L’approche classique consistait à placer un sac sur une vanne, à mesurer la quantité de gaz recueillie, puis à multiplier le résultat par le nombre de vannes réparties sur le réseau. Il s’agit du même type d’extrapolation utilisée pour calculer les émissions de GES de la plupart des sources industrielles.

Cependant, cette méthode ne tient pas compte des vannes défectueuses qui sont responsables de la plus grande partie des émissions. « Ce sont les composants défaillants qui posent un réel problème, explique Dave Risk. En règle générale, environ 80 pour cent des émissions proviennent de 10 ou 20 pour cent des composants. »

L'équipe du Laboratoire Flux a chargé ses analyseurs mobiles sur des camions (vidéo en anglais seulement) et s’est lancée dans une étude de terrain afin de prélever un très grand nombre d’échantillons. « Nous avons visité environ 15 000 sites pétroliers et gaziers, peut-être même 20 000 » précise Dave Risk. « Bref, un très grand nombre. » Les résultats ont révélé que les émissions provenant des fuites sur les emplacements de forage étaient nettement plus élevées que ne le laissaient supposer les estimations antérieures.

Cartographier le méthane provenant des décharges

Plus récemment, le laboratoire s’est intéressé aux décharges qui libèrent une importante quantité de méthane dans l’atmosphère. À l’instar des données sur les émissions provenant des pipelines, celles portant sur les émissions générées par les décharges reposaient essentiellement sur des estimations très approximatives et, selon Dave Risk, tant Environnement Canada que l’Agence américaine pour la protection de l’environnement cherchaient à se doter de nouvelles méthodes de mesure. En 2022, le gouvernement fédéral a donc retenu les services du Laboratoire Flux pour réaliser la première étude nationale.

Après avoir déployé son équipement dans 120 décharges partout au pays, l’équipe de Dave Risk en est venue à la conclusion que les émissions étaient conformes, voire inférieures, aux estimations. Ces données, tout comme celles recueillies précédemment sur les sites pétroliers et gaziers, servent désormais à orienter les réglementations, à déterminer les endroits où les réductions seront les plus faciles à réaliser et à aider les sociétés exploitantes à atteindre de nouvelles cibles en matière d’émissions.

Être maître dans l’art de surveiller les émissions

Portrait de Chelsie Hall.

Selon Chelsie Hall, responsable des activités de recherche au Laboratoire Flux, la possibilité de présenter des données précises et objectives aux gouvernements, au secteur industriel et aux organismes non gouvernementaux a joué un rôle primordial dans la réussite du laboratoire. « Une de nos plus grandes forces, c’est d’être une source d’information digne de confiance », souligne-t-elle.

Disposer d’une bonne équipe est également essentiel. Aujourd’hui, le Laboratoire Flux compte plus de 30 membres. Beaucoup sont des étudiantes et étudiants qui, grâce à leur expérience pratique de la surveillance des gaz dans l’environnement, constituent un véritable atout pour le marché du travail. « À vrai dire, nous avons du mal à les retenir jusqu’à la fin de leur programme d’études tellement la demande est grande pour ce type de formation et de compétence », affirme Chelsie Hall.

Enfin, toujours selon la chercheuse, aucune de ces réalisations n’aurait été possible sans les bons outils et l’infrastructure de recherche en place, y compris l’équipement financé par la FCI. « L'acquisition de ces analyseurs a constitué un véritable tremplin, explique-t-elle. C’est grâce à ces appareils que nous avons pu progresser autant. »

Dotée de ses dispositifs mobiles, l’équipe de recherche du Laboratoire Flux entend continuer à placer la barre plus haut en matière de surveillance des émissions, que ces appareils soient fixés à un camion, à un drone, à un avion, à un bateau ou à l’arrière d’une motoneige.

L'acquisition de ces analyseurs a constitué un véritable tremplin […] C’est grâce à ces appareils que nous avons pu progresser autant. »

– Chelsie Hall, responsable des activités de recherche au Laboratoire Flux