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Les personnes handicapées trouvent de nouveaux moyens de tisser des liens grâce à l'art

Un laboratoire de l'Université de Regina combine beaux-arts et recherche en sciences sociales pour que les personnes handicapées puissent s’exprimer par l'art.
Établissement(s)
University of Regina
Province(s)
Saskatchewan
Sujet(s)
Beaux-arts
Depuis les coulisses, un groupe de personnes se tient sur une scène et regarde vers un auditorium vide.

Image of Kathleen Irwin

Kathleen Irwin, directrice du VOICE Lab de l'Université de Regina.
Avec l'aimable autorisation de Dorian Kristmanson

Au VOICE Lab (Vocally Oriented Investigations in Creative Expression Lab), les personnes handicapées explorent et créent de nouvelles approches dans les domaines de l'art, de la culture et de la créativité. Équipé d'outils numériques et baignant dans une ambiance artistique, le laboratoire de l'Université de Regina offre aux personnes ayant un handicap vocal ou dont le mode de communication est non verbal, la possibilité de produire des podcasts, de créer des peintures de sable numériques ou de faire de la musique. À travers une forme de soutien artistique, le laboratoire permet aux personnes handicapées de se glisser dans la peau d’un artiste et de plonger au cœur de ce qu’est une communauté artistique.

Ouvert depuis moins d'un an, les équipes de recherche dévouées du laboratoire ont rapidement transféré leurs travaux de l’espace physique du studio, à un ensemble d'outils en ligne pour s'adapter aux restrictions imposées par la pandémie de COVID-19. Kathleen Irwin, qui dirige le laboratoire, explique faire de l’« artivisme ». Autrement dit, elle adhère au fait que l'art est une forme d’activisme. Sa méthodologie repose sur la conception et la fabrication. Résultat? Une production qui s’apparente à une nouvelle forme de savoir. Nous nous sommes entretenus avec madame Irwin pour savoir comment l'art peut fournir à chacun et chacune, un moyen de gagner en confiance et en autonomie.

Qu’est-ce que l’artivisme représente pour vous?

Le rôle de l'artiste est de communiquer. L'art porte la voix unique de chaque artiste. C'est une façon de se positionner dans la société. Il s’agit d’un acte politique. L’intersection entre art et activisme nous donne l'« artivisme ». Apprendre à être un artiste, c'est devenir politique. Les notions centrales du travail que nous accomplissons au VOICE Lab sont la quête de sa voix publique et de son autonomie.

Ainsi, ce travail contribue à diffuser les expériences personnelles et collectives de situations de handicap. La création artistique et la narration sont parmi les nombreux moyens de donner aux participantes et aux participants les moyens de s'exprimer, d'affirmer leur autonomie et de résister aux idées toutes faites sur le handicap et l’expression de la voix. Les étudiants chercheurs lient souvent leurs idées créatives à un désir d'éduquer les autres à partir de leurs expériences.

Nous avons vu tant de titres bouleversants dans les actualités cette année. L'art peut-il servir à l’émancipation des gens?

Les recherches menées par le VOICE Lab sont tout à fait pertinentes au regard de la période que nous traversons, qui nous oblige à réfléchir, à repartir de zéro, à relancer la machine autrement, à redéfinir ce que nous faisons et la façon dont nous écoutons les personnes qui ne revendiquent pas toujours haut et fort leur place dans le monde, qu’elles soient Noires, handicapées ou marginalisées d'une quelconque façon. La création artistique, c’est un porte-voix qui amplifie ces paroles que l’on peine à entendre.

Parlez-nous d'une situation où vous avez vu quelqu'un faire entendre sa voix grâce à une performance.

Kelsey Culbert est une jeune femme brillante, une véritable artiviste. Elle utilise un fauteuil roulant comme tribune et elle occupe une place de plus en plus centrale dans le milieu artistique local. Elle a démontré ses capacités d'artiste et d'activiste à moult reprises : elle écrit, elle blogue, elle réalise des podcasts et elle joue dans une troupe de théâtre de Regina.

Deux femmes souriantes en pleine conversation

Kelsey Culbert (à droite) et Katherine Taylor, qui travaille avec Astonished! Inc., un organisme communautaire affilié au VOICE Lab
Avec l'aimable autorisation de Brenda MacLauchlan

Faites-moi visiter votre laboratoire. Que s’y passe-t-il?

Avant le confinement, si vous étiez entré dans le VOICE Lab, vous auriez vu un studio d'enregistrement avec des ordinateurs, des claviers, du matériel d'enregistrement sonore et des microphones, ainsi que des salles de réunion et des bureaux. Même si notre espace n’est pas très grand, les portes sont toutes assez larges pour laisser passer des fauteuils roulants. Vous auriez vu des étudiants et des assistants monter des blogues, réaliser des podcasts, manier des claviers ou arranger des pistes stéréo au moyen de boucleurs, ou bien encore créer des œuvres d'art sur sable et de la musique expérimentale à l'aide d'iPads. Depuis le début de la pandémie de COVID-19, notre stagiaire, Mia Bell, a transféré toutes nos activités en ligne : visites de musées, chant collectif, clavardage social dans Zoom, cours de peinture, et d’autres choses du genre. Au Canada, il y a d'autres centres de recherche qui s’apparentent au VOICE Lab, mais le nôtre est unique, car il se situe à la croisée des chemins du handicap, du travail social et de la création artistique.

Comment en êtes-vous arrivée à ce type de recherche?

J'ai commencé comme conceptrice de décors de théâtre. Maintenant, on dit scénographe. Cette évolution étymologique indique que l’on pense à présent l'espace scénique non seulement comme un volet décoratif, mais aussi comme une forme de représentation multicouche façonnée par une dimension culturelle. Ça a été mon premier pas vers la théorie, même si je continuais à produire des pièces de théâtre.

Dessin en mode vectoriel d'un ordinateur portable surmonté d'un avion en papier sur fond bleu sarcelle avec un texte qui encourage à t'abonner à nos publications

Dans un deuxième temps, je suis sortie de l’édifice « théâtre » à la recherche d’autres scènes, ces « espaces (re)trouvés » tels un asile psychiatrique abandonné, une vieille usine de briques ou encore un village de la Saskatchewan confronté à sa pérennité culturelle. Dans ces espaces, les strates culturelles, historiques, politiques et théoriques sont manifestes et persistantes. Ma thèse de doctorat portait sur la façon dont le sens se crée dans des spectacles réalisés dans ces espaces (re)trouvés.

Et je suis donc devenue une artiste titulaire d’un doctorat. Dans la dernière étape de mon cheminement, je me suis beaucoup intéressée à la possibilité de former les artistes à réfléchir à leur pratique et à la nourrir de recherche. La recherche me passionne. J’étais également soucieuse d’accueillir des voix marginalisées dans les pratiques artistiques. Je voulais voir en quoi cette démarche pouvait changer le monde.