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Parlons mathématiques

Alors que les enfants et jeunes de tous âges retournent à l’école, des chercheurs en mathématiques nous donnent de bonnes raisons d’aimer cette matière que certains craignent
Par
Risha Gotlieb
Établissement(s)
Brandon University
University of Alberta
University of Guelph
University of Waterloo
Province(s)
Alberta
Manitoba
Ontario
Sujet(s)
Mathématiques appliquées
Mathématiques pures
Statistiques et probabilités
Une fillette aux cheveux attachés se tient devant un tableau noir affichant des équations mathématiques

Que vous aidiez votre enfant de première année à démystifier la soustraction ou que vous buchiez dans vos cours de calcul différentiel et intégral, les mathématiques peuvent être difficiles à apprivoiser.

En fait, les taux d’innumérisme sont probablement supérieurs aux taux d’analphabétisme dans les pays développés, ce qui signifie que de nombreux adultes éprouvent des difficultés à calculer un pourboire ou le cout annuel de services facturés au mois. Selon un rapport de l’Institut C.D. Howe, les compétences mathématiques des élèves canadiens sont à la traine de celles des élèves de Shanghai, de Hong Kong et de la Chine, et connaissent un déclin continu depuis 2003, sans compter que certaines provinces font particulièrement piètre figure. Ne nous étonnons pas si tant d’entre nous tressaillent à la vue d’une fraction.

Qu’on aime ou pas, il est difficile de trouver quoi que ce soit que les mathématiques n’aident pas à expliquer ni à faire fonctionner, surtout dans nos vies menées par la technologie. Cela s’explique en partie par la symbiose entre les mathématiques et l’informatique, à la base non seulement des appareils utilisés quotidiennement, mais aussi d’industries et de secteurs d’activités tout entiers, comme les services bancaires, la programmation informatique ou des champs spécialisés comme la médecine et le droit.

Les mathématiques sont omniprésentes, pour paraphraser Mark Lewis, un chercheur de la University of Alberta

, qui modélise mathématiquement des systèmes biologiques, aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie mathématique et président de la Société mathématique du Canada. « Il y a plein de notions mathématiques intéressantes qui se cachent dans notre quotidien », ajoute-t-il, soulignant que le domaine étend ses racines partout, de la cryptographie des opérations bancaires à la compréhension des comportements d’achat en passant par l’imagerie médicale.

« Grâce à une nette amélioration de notre capacité à recueillir des données, à l’augmentation importante de la puissance des ordinateurs et à l’efficacité des nouvelles mathématiques, nous pouvons maintenant lier très étroitement les mathématiques à des problèmes concrets », précise-t-il.

Prenons l’exemple de Chris Bauch, professeur de mathématiques appliquées à la  University of Waterloo : en compagnie de son équipe de recherche et de ses collaborateurs de la University of Guelph, il a conçu des modèles mathématiques évaluant la propagation de la peur des vaccins et d’opinions concernant les changements climatiques dans une population. Ces modèles représentent entre autres la relation entre les systèmes naturels, dans leur aspect dynamique, et la diffusion de points de vue à l’intérieur d’un groupe social.

Le chercheur applique l’apprentissage machine aux gazouillis sur les vaccins et les changements climatiques, ce qui l’aide à analyser les perceptions au sujet des vaccins qui peuvent mener à des éclosions de maladies. Les données utilisées rassemblent des millions et des millions de gazouillis pouvant donner des indices importants : « Nos logiciels suivent le fouillis des interactions et les discussions sur Twitter afin de relever, à l’avance, certains éléments déterminants qui amènent les gens à craindre les vaccins ou à changer de perspective sur les changements climatiques, entre autres. »

L’analyse des tendances sur Twitter et Google peut ainsi mener à la création de campagnes de santé publique capables de détourner la population de ces éléments déterminants.

Par ailleurs, les travaux de Bauch ont attiré l’attention d’organismes de renom tels que l’Organisation mondiale de la Santé, la Food and Drug Administration des États-Unis et la Bill and Melinda Gates Foundation, dont certains ont collaboré à l’entreprise.

Quand on lui demande ce qui l’a amené à choisir une carrière dans le domaine, Chris Bauch répond qu’il a d’abord voulu être astronome, puis qu’il s’est mis à s’intéresser à la physique. « Et de là, je me suis tourné vers les maths », affirme-t-il, se disant inspiré par Chaos, un ouvrage de James Gleick considéré comme le premier livre à succès sur la théorie du chaos à décrire des concepts mathématiques complexes en langue usuelle.

Il croit que les élèves valoriseraient plus l’apprentissage des mathématiques si on leur dépeignait la démarche comme une histoire captivante, comme on le fait en journalisme. « De nombreux chercheurs ont une approche narrative : ils partent d’une question, décrivent ce que d’autres ont découvert avant eux, et utilisent ces recherches antérieures pour définir où en est le domaine et pourquoi ils ont choisi leur sujet. Puis ils présentent leurs résultats et expliquent les connaissances qu’on peut en tirer. Ce n’est pas exactement comme l’intrigue d’un roman, mais il y a certainement des ressemblances. »

Sarah Plosker, professeure agrégée à la Brandon University, au Manitoba, est du même avis : « Nous allons où les faits nous mènent, et nous découvrons la vérité au passage. Comme je veux que mes résultats profitent à d’autres, j’essaie d’intéresser les gens à ma démarche. »

Mme Plosker est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en théories de l’information quantique. Domaine fascinant, l’informatique quantique pourrait bouleverser la recherche de premier plan tout comme notre vie quotidienne, car les ordinateurs utilisant cette technologie seront en mesure d’accomplir des tâches impossibles pour les ordinateurs numériques.

« Les algorithmes quantiques accélèreront les calculs, le codage superdense augmentera l’efficacité de la transmission de données, et la téléportation quantique permettra la communication instantanée », prédit la chercheuse.

Toutefois, si les ordinateurs quantiques venaient à se répandre, les technologies actuelles de transmission sécurisée des renseignements personnels en ligne deviendraient désuètes. Par exemple, les transactions financières sur Internet seraient sujettes à des techniques de piratage de nouvelle génération. Nous devrions alors assurer la confidentialité des transferts de données confidentiels par la cryptographie quantique, une méthode de chiffrage reposant sur des algorithmes complexes. Autrement dit, sur les mathématiques.

La mathématicienne explique son intérêt pour son domaine d’expertise et son sujet de recherche actuel par la richesse des recoupements entre les théories de l’information et les mathématiques, la physique et l’informatique, qui font qu’elle ne s’en lasse jamais : il reste toujours quelque chose à découvrir. « J’adore résoudre des problèmes et apprendre », lance-t-elle.

Que dirait-elle à des élèves qui peinent à réussir leur cours de mathématiques? Que l’effort en vaut le coup. « L’arithmétique n’a pas grand-chose à voir avec la réalité de la recherche en mathématiques. Nous ne restons pas assis à notre bureau à additionner des nombres toujours plus grands. Une fois les bases connues, nous devons approfondir nos apprentissages et comprendre le processus mathématique de résolution de problèmes, ce qui nous permet de résoudre des problèmes jamais vus. »