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Enseigner aux enfants autistes comment percevoir le monde

Ryan Stevenson, de l’Université Western, lancera la première étude longitudinale à tenter de déterminer si on peut enseigner aux enfants autistes à mieux interpréter le monde extérieur
Par
Sabrina Daniel
Établissement(s)
Western University
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Santé mentale
Comportement
Neurosciences
Reflet fracturé de deux personnes en discussion

Le cerveau est un ordinateur puissant programmé pour recueillir, organiser et interpréter une multitude de sensations provenant du monde extérieur. Le cerveau les combine pour former un tout complet afin d’interagir avec l’environnement et d’y trouver un sens.

Les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) ont souvent de la difficulté à traiter ces stimuli externes. Leur cerveau perçoit trop ou pas assez d’information sensorielle et peine à en faire un tout cohérent.

Un nouveau projet de recherche de l’Institut sur le cerveau et l’esprit de l’Université Western – la première étude longitudinale du genre – tentera de déterminer si les enfants autistes peuvent apprendre à traiter les stimuli externes avec une fidélité accrue, et, le cas échéant, si cet apprentissage les aidera à développer leurs habiletés cognitives durant leur croissance ou s’il n’aura que des effets temporaires.

Chercheur à la tête du projet, Ryan Stevenson explique l’importance de proposer des façons d’aplanir les difficultés de traitement sensoriel, car elles pourraient contribuer à l’apparition de certains des symptômes généralement associés à l’autisme, comme les problèmes de communication et de rapport avec les autres, ou les aggraver.

Ryan Stevenson décrit ce que les chercheurs appellent les symptômes graves de l’autisme

Cet extrait sonore est uniquement disponible en anglais.

 

[RYAN STEVENSON] Pour recevoir un diagnostic d’autisme, les enfants doivent présenter des difficultés de deux ordres. La première catégorie se rapporte aux problèmes de communication sociale alors que la seconde regroupe les intérêts restreints et les comportements répétitifs.

Beaucoup d’enfants autistes ont un champ d’intérêt très restreint. Les trains sont un sujet d’intérêt fréquent. Par exemple, un enfant autiste sera capable de réciter l’horaire complet du métro de New York ou des choses du genre. Cet intérêt très marqué se fait au détriment d’autres éléments de leur vie auxquels ils pourraient ou devraient s’intéresser.

Et puis, il y a les comportements répétitifs, souvent appelés autostimulation : battre des mains, agiter ses doigts devant ses yeux, se balancer ou se frotter les bras.

Les données nombreuses recueillies non seulement au cours d’expériences, mais aussi auprès d’autistes possédant des capacités langagières pour expliquer pourquoi ils posent ces gestes nous apprennent que ces comportements visent à maîtriser les stimuli sensoriels.

Par exemple, si vous êtes hypersensible à la lumière et aux sons, et qu’au lieu de percevoir mon visage et ma voix comme un tout, ces éléments suscitent chez vous des perceptions multiples distinctes, vous vous retrouvez plongé dans un monde trop intense.

Les comportements répétitifs – ou autostimulation – permettent de réduire ce monde sensoriel trop intense. Ce geste répétitif et fiable, que vous maîtrisez et prévisible, vous permet d’atténuer le monde extérieur.

Une grande partie de la recherche menée sur l’autisme, même jusque dans les années 1980 et 1990, portait principalement sur les aptitudes plus graves de la maladie comme la communication sociale et la théorie de l’esprit.

C’est seulement vers la fin des années 1990 et au début des années 2000 qu’on a commencé à étudier ce qu’on appelle les aptitudes moins graves chez l’autiste, dont l’intégration sensorielle.

Aujourd’hui, plusieurs recherches sont consacrées aux répercussions de ces difficultés moindres d’intégration sensorielle sur les aptitudes graves associées généralement davantage à l’autisme, comme les intérêts restreints, les comportements répétitifs et les habiletés sociales.

Le chercheur mentionne que pendant son développement, le cerveau ne reçoit de l’extérieur qu’une seule chose qui peut l’aider à comprendre comment interagir avec le monde : il s’agit de l’information sensorielle. Des processus cognitifs comme la perception de la parole, la mémoire et l’attention dépendent de la façon dont l’information extérieure est perçue; c’est la première étape. Si la perception d’une personne est différente de celle des autres, il est plutôt logique de déduire que toutes ses autres habiletés cognitives qui reposent sur la perception sensorielle en seront affectées.

Ryan Stevenson a cependant bon espoir que dans l’éventualité où il serait possible d’enseigner à un jeune âge aux enfants autistes à établir des connexions sensorielles fiables, l’exercice aura des répercussions positives sur toutes leurs autres habiletés cognitives.

Il poursuit en disant que la perception sensorielle est malléable et qu’une personne peut s’entraîner à percevoir certaines choses.

Grâce au financement récent de la Fondation canadienne pour l’innovation, le chercheur achètera divers outils de recherche avec lesquels il étudiera l’évolution de la perception sensorielle de personnes autistes de la petite enfance à l’âge adulte.

Il se servira notamment d’un appareil d’électroencéphalographie avancé, qui ressemble à un bonnet de bain couvert d’électrodes, pour trouver quand et où les neurones cérébraux sont activés.

En mesurant ainsi l’activité neuronale avant et après les séances de formation, l’équipe de recherche pourra déterminer si le cerveau a subi des changements, et si l’enfant autiste parvient ensuite à percevoir et à interpréter plus justement le monde qui l’entoure.

L’étude suivra pendant au moins cinq ans l’évolution de personnes autistes de 2 à 22 ans, plus particulièrement leur hypersensibilité aux stimuli visuels et auditifs et la façon dont leurs cerveaux les combinent. Ce dernier point d’étude se nomme Intégration multisensorielle. Nos cerveaux s’y livrent, par exemple, lorsqu’une personne parle : la personne qui écoute intègre spontanément la voix, les mouvements des lèvres et les expressions faciales pour décoder le véritable sens des mots. Chez les personnes autistes, le décodage se fait parfois plus difficilement.

 

Ryan Stevenson décrit une séance d’entraînement

Cet extrait sonore est uniquement disponible en anglais.

[RYAN STEVENSON] Nous utilisons généralement un paradigme très simple pour évaluer les habiletés de traitement temporel chez une personne, c’est-à-dire sa perception des événements dans le temps : nous lui faisons voir un signal lumineux sur un écran et entendre un signal sonore. C’est aussi simple que ça. Et la personne doit nous indiquer si le signal lumineux ou le signal sonore arrive en premier, ou si les deux se produisent en même temps.

On peut varier l’alignement des deux signaux, autrement dit les synchroniser plus ou moins pour mesurer la sensibilité de la personne aux décalages temporels. Les enfants autistes sont plus enclins à dire que les signaux sont synchronisés même quand ils sont vraiment décalés.

Le paradigme d’apprentissage perceptuel que nous commençons maintenant à utiliser avec les enfants autistes est une adaptation très simple de ce modèle. En gros, nous présentons des choses synchronisées ou non, à divers degrés, et demandons à l’enfant de réagir. Puis, nous leur disons si leurs réponses sont correctes ou non.

Les effets de l’apprentissage perceptuel se font sentir assez rapidement. Il suffit d’un jour ou deux d’entraînement. On commence à voir s’ils arrivent plus facilement à dire quand les signaux sont synchronisés et quand ils sont décalés. On accroît donc la fiabilité de cet indice pour intégrer des données sensorielles.

Avant et après l’utilisation de ce paradigme d’entraînement, nous évaluons les enfants pour constater les avantages qu’ils en tirent. Nous savons que chez les personnes non autistes, la fiabilité accrue de cet indice, de ce repère temporel pour intégrer deux éléments d’information, augmente la stimulation.

L’équipe de recherche utilisera également un système d’enregistrement des mouvements oculaires pour savoir où se dirige le regard des participants et ce qui capte leur attention.

Le chercheur ajoute qu’il sera donc possible de constater de façon passive ce qui se passe chez les enfants autistes qui ont du mal à communiquer.

Il prévoit aussi rendre son laboratoire mobile au cours des prochains mois. Comme les enfants autistes sont souvent sensibles aux nouveaux environnements, les outils mobiles permettront à l’équipe d’installer le laboratoire aux endroits où les enfants sont le plus à l’aise, par exemple chez eux. Un plus grand nombre d’enfants et de familles pourraient ainsi être capables de participer à l’étude.

Dans l’intervalle, Ryan Stevenson est impatient de savoir si son approche améliorera la qualité de vie des enfants autistes.

Il se demande si dans l’éventualité où nous parvenons à leur donner une petite poussée, un élan perceptif, si celui-ci aura-t-il une incidence à long terme sur les processus subséquents, ce qui les aidera à améliorer leurs aptitudes sociales?

Voilà la grande question.