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Changer la relation de recherche

Les nombreux travaux sur la toxicomanie et la santé mentale dans les communautés autochtones menés par Christopher Mushquash de la Lakehead University ont un dénominateur commun : être à l’écoute des besoins et désirs de ces communautés
Par
Cailynn Klingbeil
Établissement(s)
Université Lakehead
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Santé mentale
Toxicomanie
Portrait de Christopher Mushquash

Christopher Mushquash a grandi à Sioux Lookout, une ville ontarienne à environ quatre heures de route au nord-ouest de Thunder Bay. Cet environnement a grandement influencé le chercheur et clinicien qu’il est devenu.

M. Mushquash est Ojibwé et membre de la Première Nation de Pays Plat. Dès son jeune âge, il a manifesté un vif intérêt pour les sciences et la santé mentale, ce qui l’a amené à étudier la psychologie à la Lakehead University.

« Au cours de mes études de premier cycle, j’ai compris l’importance d’acquérir des compétences qui me rendraient utile dans ma communauté », dit-il.

C’est exactement ce qu’il s’est employé à faire, et plus encore – tout en gardant sa communauté au premier plan de son travail.

Aujourd’hui, il est professeur agrégé au Département de psychologie de la Lakehead University, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé mentale et les toxicomanies chez les Autochtones et directeur du Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du nord. Il est aussi psychologue au Dilico Anishinabek Family Care, un organisme communautaire qui propose des services de protection de l’enfance et de santé ainsi que des ressources en santé mentale et en toxicomanie.

Dans ces différentes affectations, Christopher Mushquash s’efforce d’offrir des services en santé mentale et en toxicomanie qui répondent aux besoins des populations autochtones par une approche plus holistique que les modes d’intervention courants.

Dans le nord-ouest de l'Ontario, où il travaille principalement, les services dispensés aux communautés isolées des Premières Nations ne sont pas aussi disponibles, accessibles et bien adaptés qu’ils le devraient, indique-t-il. « Notre travail consiste surtout à prendre les meilleurs enseignements tirés de la littérature en psychologie et en santé et de les combiner aux meilleurs éléments des approches culturelles », dit-il.

À titre d’exemple, on peut citer un article auquel M. Mushquash a collaboré en 2015 dans la foulée de l’adoption de la Loi sur le cadre fédéral de prévention du suicide. Cette loi exige du gouvernement fédéral qu’il établisse un cadre national de prévention du suicide. Épidémiologiste à la McMaster University, Kathryn Bennett a réuni un groupe d’experts pour examiner l’efficacité des interventions universelles en milieu scolaire pour prévenir les décès par suicide et les tentatives de suicide chez les jeunes. Christopher Mushquash a mis à contribution ses connaissances sur les communautés rurales, nordiques et des Premières Nations.

L’article a révélé que les programmes de prévention du suicide en milieu scolaire, y compris les outils pour aider les élèves à déceler leurs propres facteurs de risque et ceux de leurs pairs, conjointement au dépistage et à l’acquisition de compétences par les enseignants, pouvaient réduire les tentatives de suicide et les pensées suicidaires. L’article formule six recommandations, notamment que les prestataires de soins, les gouvernements et autres décideurs tiennent compte de la dimension culturelle pour déterminer comment servir les collectivités.  

Un espace pour travailler coude à coude avec les communautés autochtones

Ce type de travail exige une collaboration étroite avec la population autochtone, dont les collectivités et les organismes, et une nouvelle génération de chercheurs formés en santé mentale et en toxicomanie chez les Autochtones.

Grâce au financement de la FCI, Christopher Mushquash a mis en place un laboratoire de recherche à la Lakehead University consacré à ces importantes activités de liaison et de mentorat. Le laboratoire comprend sept postes de travail pour les stagiaires du premier cycle et des cycles supérieurs en plus d’un coordonnateur de recherche à plein temps, de même qu’une salle de réunion meublée d’une grande table favorisant la collaboration entre les chercheurs et les partenaires communautaires.

C’est un lieu accueillant où les chefs et les Ainés des Premières Nations, des conseils tribaux et d’autres organismes peuvent rencontrer les chercheurs pour participer à la formation de partenariats de recherche qui répondent aux priorités de la communauté.

 « Un véritable laboratoire où toutes sortes d’interactions – officielles, mais aussi informelles – peuvent se produire, précise-t-il. Un nombre appréciable de personnes peuvent y travailler confortablement en étroite proximité afin que chacun puisse tirer parti de l’expérience et du savoir d’autrui. »

M. Mushquash et son équipe y étudient certains aspects des problèmes les plus criants chez les communautés autochtones, par exemple, l’effet des  expériences négatives vécues dans l’enfance chez les membres des Premières Nations qui suivent des traitements en toxicomanie. Ils évaluent les programmes d’éducation parentale adaptés aux particularités culturelles pour les populations autochtones et élaborent un nouveau mode d’intervention pour les jeunes des Premières Nations présentant des problèmes de santé mentale.

Toutefois, Christopher Mushquash souligne qu’il doit sortir du laboratoire pour accomplir ce travail de proximité auprès des communautés. Son équipe et lui organisent donc aussi diverses activités, dont des assemblées publiques locales pour donner la parole à un maximum de personnes touchées par leur travail.

Ce type de collaboration a eu des retombées sur les Premières Nations du nord de l’Ontario. Ainsi, un projet conçu pour évaluer les programmes de traitement des dépendances aux opioïdes sur les réserves a permis aux chercheurs de constater que le mécanisme de financement fédéral, qui exigeait la soumission d’une nouvelle proposition chaque année, pouvait entrainer involontairement un manque de continuité dans la prestation et la dotation du programme. Ce mécanisme imposait aussi un lourd fardeau administratif aux collectivités dont les ressources limitées étaient déjà mobilisées par la lutte contre ce grave problème de toxicomanie.

« Les communautés, aux prises avec la crise des opioïdes, avaient du mal à offrir des soins continus aux personnes qui sollicitaient un traitement", dit M. Mushquash. « Nous parlions à des membres de la communauté qui travaillaient activement à améliorer la vie des gens aux prises avec une dépendance aux opioïdes. Ces personnes racontaient leurs histoires et pleuraient ensemble. Même s’il s’agissait d’un projet de recherche, ce processus avait aussi un sens pour les gens, car il avait le potentiel de provoquer des changements sur le terrain ». À la suite de cette recherche, l’administration fédérale a prolongé le financement de sa politique à trois ans, ce qui permet aux communautés de poursuivre leurs programmes et d’assurer une plus grande continuité des soins.

Une relation de recherche en mutation

Quel que soit le sujet de ses recherches, Christopher Mushquash axe son travail sur les communautés, cherchant à être à l’écoute de leurs priorités, de leurs besoins et de leurs attentes.

« Les recherches menées auprès Premières Nations n’ont pas toujours été dans l’intérêt de cette population, dit-il. On n’a pas besoin de retourner très loin en arrière pour trouver des exemples d’études qui ont eu des répercussions néfastes sur ces communautés et ont profité à tout le monde, sauf aux Premières Nations. »

Selon Andrew Dean, vice-recteur à la recherche et à l’innovation à la Lakehead University, M. Mushquash est une personne exceptionnelle qui s’emploie à réduire les inégalités en santé dans le nord-ouest de l’Ontario.

« C’est un chercheur de haut niveau qui possède un solide bagage universitaire, mais qui établit aussi avec la communauté autochtone un rapport respectueux du contexte culturel », ajoute le vice-recteur.

John Dixon est directeur des services de santé mentale et de toxicomanie au centre Dilico Anishinabek Family Care où Christopher Mushquash travaille comme psychologue.

« [M. Mushquash] a un profond respect pour les valeurs et la culture traditionnelles, et il s’est donné pour mission de transformer la relation de recherche de notre organisme : notre centre n’est plus un lieu où viennent des gens qui souhaitent mener des recherches sur nous, mais un espace où nous faisons des recherches collaboratives et mobilisons les communautés. Ces recherches deviennent ainsi tout à fait pertinentes pour nous, aussi bien pour l’organisme que pour la population », précise-t-il.

John Dixon est particulièrement enthousiaste à propos d’un projet auquel participe Christopher Mushquash et qui vise à mettre au point un outil de mesure du bienêtre des enfants. Ce nouvel outil évalue les enfants en fonction de leurs forces plutôt que leurs faiblesses, un important changement qui engendre des réactions différentes au traitement, explique M. Dixon.

« Une façon d’être utile »

M. Mushquash attribue la réussite de son parcours universitaire à des mentors qui ont vu en lui un potentiel que lui-même n’entrevoyait pas.

Après ses études de baccalauréat et de maitrise en psychologie à la Lakehead University, Christopher Mushquash a obtenu son doctorat en psychologie clinique à la Dalhousie University, puis a fait sa résidence prédoctorale à la Faculté de médecine de la University of Manitoba, se spécialisant en pratique clinique dans les régions rurales et nordiques.

En 2011, il est retourné à la Lakehead University pour y amorcer sa carrière, où il a continué de développer des relations suivies avec les communautés du nord-ouest de l’Ontario. Il n’hésite pas à attribuer ses succès en recherche à ses collaborateurs, et plus particulièrement aux populations des Premières Nations disposées à travailler avec lui.  

Profondément enraciné dans la culture ojibwée, il a grandi en région rurale et a continué à travailler dans des milieux non urbains et nordiques tout au long de sa formation. Grâce à cet héritage, M. Mushquash saisit l’importance de comprendre la culture des gens avec lesquels on collabore.

« Je crois que ma motivation vient de la volonté d’améliorer la vie dans nos communautés, indique-t-il. Nous sommes aux prises avec un certain nombre de difficultés, et je crois que j’ai voulu essayer d’apprendre ce que je pouvais pour trouver une façon d’être utile, à la mesure de mes moyens. »